mercredi 11 mai 2016

[Cannes] Café Society : Oh mon dieu la caméra a bougé !!

Un jeune gars plein de ras-le-bol fuit Manhattan, sa famille juive et son frère criminel pour s'installer à Hollywood et découvrir les paillettes, les starlettes, le glamour et l'amour. Et si les trois premiers lui réussissent, c'est ce dernier qui va l'ensorceler... et le balader entre les deux mondes, côte est et ouest, jusqu'à ce fameux Café Society.


Le générique commence est personne n'est surpris dans la salle : c'est la même police, le même fond, la même musique de jazz. Les acteurs d'abord, dans l'ordre alphabétique, car ce sont eux qui comptent, ce sont eux qui brillent : cette fois, la muse est devenue Kristen Stewart, vraie Janus quelque peu inspirée de l'héroïne de The Appartment de Billy Wilder. Et elle est belle, belle, belle, belle. Une vraie gueule, et une vraie voix, comme Scarlett il y a dix ans. Et puis, outre l'apparition éclair mais très appréciable d'Anna Camp dans un rôle de prostituée débutante et la carrure de Steve Carrell en agent hollywoodien tellement cliché qu'il pourrait se reconvertir dans la vente de Polaroïd, celui qui crève l'écran, c'est le héros : Jesse Eisenberg devient en fait ici une nouvelle incarnation de Woody Allen. Certes, il y apporte sa propre touche, mais il est difficile de ne pas imaginer le réalisateur - plus jeune - à sa place. Mais voilà, Woody est trop vieux pour ces conneries, du coup il se cantonne au rôle de narrateur.



Oui, Woody Allen a une zone de confort, oui, il n'aime parler que d'un nombre de choses extrêmement réduites, et très clairement il en a conscience. Oui, dans le fond, on sait à quoi s'attendre : des histoires d'amours, des mariés infidèles, des fêtes, l'élite de l'Amérique caricaturé jusqu'à en faire des monstres endimanchés trinquant leur verres remplis d'argent. Ce qui change, ce sont les costumes, le décor. Les phrases sont les mêmes, ce ne sont que les mots qui changent.


Et pourtant, dès que le générique se termine, le sourcil se lève. Puis frémit. Woody... est-ce que tu es en train de traverser une fête avec un steadicam ?? Est-ce que tu mets des mouvements de caméras partout dans ton film et de la profondeur de champ ??? EST-CE QUE TU AS FOUTU UNE TRANSITION TELLEMENT DEBILE QUE MEME DANS STAR WARS ILS LE FONT PAS ???? Je suis si heureux. Je ne sais pas ce qui lui a pris, peut-être que l'idée de filmer l'âge d'or d'Hollywood lui a donné envie d'expérimenter et d'être original dans sa composition et son langage filmique mais je ne peux que m'en réjouir : c'est putain de sublime les gars. Les paillettes elles sont des mes yeux là. Superbe. Et le contraste New York/Hollywood est sans pitié : la première, Woody la connaît et la montre comme sa femme. Enfin, si sa femme avait son âge (lol) et qu'il la montrait nue. La deuxième, c'est son monde : c'est le cinéma, un monde qu'il aime inventer comme plus beau et dépeindre avec cruauté.



En effet, si Jesse Eisenberg nous dit que la vie "est une comédie écrite par un écrivain sadique", il ne peut parler que de son monde, dans lequel le réalisateur joue avec son cœur en lui promettant Kristen Stewart sans jamais vraiment lui laisser l'attraper. Aparté : c'pas grave Jesse, retourne voir Adventureland, tu t'en sors mieux dans celui-ci.


J'ai un peu l'impression que ma critique va dans tous les sens et n'a pas vraiment de direction logique, mais j'ai envie de dire, film, c'est tout ce que tu mérites vu ta tronche. Enfin c'pas une critique hein coco, c'est que je parle comme ça moi, mais clairement tu n'as ni queue ni tête. Au milieu de ton intrigue principale, tu nous a foutu une intrigue de gangster, toute l'histoire de la famille juive de Jesse Eisenberg, un ptit sketch sur le fait que les chrétiens sont des lâches et des froussards, un autre sur une prostituée débutante plutôt nerveuse qui relève davantage d'une sitcom que d'autre chose... sans parler d'un portrait monstrueux du monde hollywoodien et de son langage. Oui, à Hollywood selon HollyWoody on ne parle pas anglais, on parle le "name-dropping", c'est-à-dire qu'une phrase n'a du sens uniquement si elle contient les noms de trois ou quatre célébrités. La seule chose qui tente de faire le lien entre tous ses îlots, c'est la narration, la voix du réalisateur qui nous balade de lieu en lieu, d'époque en moment, de succès aux échecs. Jusqu'à un final emprunt de mélancolie, qui a le don de laisser sur la faim.


Sous bien des aspects, Café Society raconte la vie des êtres qui changent. Le temps passe, ou l'environnement évolue, et hommes et femmes se muent. Ce n'est qu'en retrouvant un morceau de passé que l'être se trouve un miroir et se dit finalement, tiens, c'est moi ça ? C'est ainsi que le souvenir revient, puis devient mélancolie, et enfin devient regret. Voilà peut-être comment expliquer le fouillis fascinant d'un film légèrement foufou, d'un réalisateur qui se met à regarder vers l'arrière. 

Je sais que beaucoup s'amusent à cracher sur papi Woody depuis l'après Match Point, mais j'insiste : depuis ses trois derniers films, il a quelque chose de nouveau, et il signe là son film le plus intéressant depuis Scoop. Oui, malgré son côté bancal et imparfait. Mais vous savez ce qui était aussi bancal et imparfait ? Scoop.

mercredi 4 mai 2016

Les films d'avril sur lesquels je n'ai pas écrit

Green Room : Un groupe de punk durs à blouson en cuir = se retrouvent prisonniers dans un club paumé tenu par des néo-nazis. Un survival super gore qui oppose Chekov (Anton Yelchin), bassiste timide, au Capitaine Picard (Patrick Stewart) en leader nazi qui fait peur dans le noir. Très sympa, notamment dans son détournement de certains codes du genre, mais un peu décevant dans sa mise en scène : toutes les scènes de violence sont très floues, vagues, voire hors cadre, comme si le film avait été forcé de s'auto-censurer pour être distribuer. En tout cas, le réalisateur de Blue Ruin continue son chemin, et c'est cool.

Les Ardennes : Le petit frère se tape la meuf du grand déglingué violent pendant qu'il est en prison. Il en sort deux ans après, et très vite c'est la grosse merde. Un polar belge assez frappé et un peu lent au démarrage, qui finit par exploser dans une dernière demi-heure pas loin d'être époustouflante. Avis aux amateurs du genre, ce film là est pas mal du tout. En plus la scène pivot est totalement centrée autour de crêpes, et c'est un point important à souligner.

Everybody Wants Some: Le nouveau film de Richard Linklater est passé un peu inaperçu, parce que quand même à part Boyhood le grand public s'en bat un peu les rognons de son cinéma indie qui parle du temps qui passe et de la jeunesse rock'n roll. Pourtant il a quelque chose de très particulier : c'est un peu une sorte d'American Pie mais version artiste. On suit l'équipe de baseball d'une université dans les trois jours qui précédent le début de l'année, et leurs tentatives de lever des meufs. Le film est donc extrêmement centré sur les personnages masculins, la jeunesse, l'identité culturelle... il pourrait être dérangeant si ce n'était pas quelqu'un de confiance comme Linklater aux commandes, pour ne pas dire ouvertement sexiste. Au contraire, le film est outrageusement réaliste : ayant fait partie d'une équipe de sport à l'université, je peux attester de la véracité de cette représentation non moralisatrice, mais qui reste clairement passéiste.

Hardcore Henry: Premier film d'action tourné entièrement en vue subjective, comme un jeu vidéo. Cette première phrase est en fait, assez fausse : Hardcore Henry ne mérite pas d'être appelé film, et il n'est pas "comme un jeu vidéo", il est exactement identique à un mauvais jeu vidéo. C'est bien simple, cette immondice est une insulte aux fans de jeux vidéos puisqu'il en prend la majorité des traits négatifs comme la linéarité et l'objectification de la femme, et conserve certains éléments qui hors d'un contexte de jeu vidéo n'ont plus aucun sens. La vue subjective par exemple : l'empathie est créé au cinéma par le fait de voir un personnage ressentir, pas par une interprétation littérale de "voir le monde comme il/elle le voit". Certes, certains passages spectaculaires sont intéressants et impressionnants, mais uniquement parce qu'on se demande comment ils l'ont fait, donc pas pour le film en tant qu'oeuvre. Infect, infect, infect.

High Rise: Adaptation du roman par un réalisateur qui commence à faire parler de lui ; c'est un film sur le futur du passé où on suit les nouveaux habitants d'un immeuble inspiré par la révolution architecturale Le Corbusier. A l'intérieur se mélangent la haute bourgeoisie, la petite et la classe d'en bas... sauf qu'ils ne se mélangent uniquement par le chaos, la baston, le sexe et la destruction. Je vais être clair, je n'ai aucune idée de comment parler de ce film ; il n'a aucune logique structurelle, pas d'évolution dramatique des personnages, c'est juste une sorte de spirale de démence sans aucune limite, où l'image et les mots défient le spectateur constamment. Exténuant pour certains, jubilatoire pour d'autres, je le recommande à tous ceux qui comme moi pense faire partie de la seconde catégorie. Ah oui j'oubliais : la première scène du film, c'est Tom Hiddleston qui mange un chien.

mardi 19 avril 2016

Les Malheurs de Sophie : Christophe Honoré fait la bombe

Une amie l'a dit bien mieux que je ne saurais le faire : "il y a ceux qui ont grandi en lisant Les Petites Filles Modèles, et les autres".


Ce que cela veut dire, c'est que nombreux sont les enfants qui ont grandi et appris à lire avec la Comtesse de Ségur, et tout particulièrement avec sa trilogie narrant, justement, Les Malheurs de Sophie. Bon, il faut aussi être honnête : nous sommes aussi beaucoup à avoir vu le dessin animé qui passait pendant les grandes vacances, mais on accède à la culture comme on le peut, hein. Ce qui compte, c'est que ces livres et leur morale - aussi casse-gueule et rétrograde qu'elle puisse être parfois, notamment dans ses penchants catholiques - ont une importance considérable pour beaucoup.


 Alors forcément, quand une adaptation filmique est annoncée, il y a de quoi prendre peur. Certes ce sont des livres pour enfants, mais est-ce que l'on peut imaginer cette oeuvre adaptée actuellement, pour les enfants au cinéma ? Parce que, on l'oublie assez aisément, ce sont des histoires affreuses ! Sophie, qui selon ses dires est inspirée de la Comtesse elle-même, est une petite fille indéniablement horrible au début de l'histoire. Elle a tout ce que les enfants ont de cruel en elle.


Donc, c'est risqué. Mais c'est un pari à prendre, et Christophe Honoré, car c'est lui qui réalise et a écrit le film, les paris, il leur tord le cou façon warrior. Héritier bâtard de la Nouvelle Vague et de Jacques Demy, Christophe Honoré n'a jamais tourné avec des enfants avant mais il a toujours raconté le monde de manière enfantine, avec des mots qui sonnent si plein de couleurs qu'ils révèlent la noirceur du monde avec mélancolie. Que l'on soit donc clair comme de l'eau de caillou : le film, c'est les Malheurs de Sophie, de Christophe Honoré. En bon auteur, il s'est totalement approprié le personnage et l'univers pour le réarranger à sa sauce (Honoré, c't un peu le Zack Snyder français du coup, il adapte le Comtesse de Ségur Universe selon SA vision). C'est-à-dire en y mélangeant allègrement deux éléments : la cruauté des livres, et la légèreté de l'enfance. A son contact, Sophie devient dotée d'une curiosité et d'une insouciance touchantes ; même Madeleine, Camille, Marguerite et Paul dans cette version se comportent plus comme des enfants que comme des poupées de cire, qui feraient toujours bien attention de ne pas rester au soleil.
(Et d'ailleurs, il faut que je le mentionne quelque part : Sophie devient aussi métisse ici. Christophe Honoré prouve ainsi que même dans un film d'époque, on peut donner des rôles à d'autres comédiens que des blancs, et ça c'est quand même putain de rafraîchissant et d'encourageant. Parce que faut quand même le dire aussi : la maman de Sophie, Mme de Réant, qui est donc interprétée par Golshifteh Faharani, est époustouflante et bouleversante dans le film. Donc, prends-toi ça dans les dents, racisme subversif !)


Cela permet de donner un fond de joie à une histoire absolument terriblement dramatiquement et d'autres adverbes en ment triste. C'est super, méga, giga, hyper, ultra, triste cette histoire, et ceux qui ont lu les livres le savent mais ne s'en souviennent sans doute pas. C'est pourquoi lorsque Christophe Honoré permet à tous ses enfants de jouer, rire, hurler, faire les pitre et les clowns et les saltimbanques, son film respire et nous aussi. De par son originalité notamment dans sa structure, il est probable que Les Malheurs de Sophie ne séduira pas tous les publics, mais ce qui est certain, c'est qu'il ne laissera personne indifférent. Il fait ressentir des choses, de la boule au ventre, aux larmes, aux éclats de rire scintillants. Et c'est en partie grâce à l'éternel compatriote, camarade et amant filmique de Christophe Honoré, le compositeur Alex Beaupain qui signe une partition d'une richesse picsoutienne (adjectif basé sur le mot Picsou, quoi ça vous pose un problème), avec notamment une chanson qui m'est restée dans la tête pendant plusieurs jours.



Les éclats de rire, justement, arrivent assez tard dans le film ; et c'est bien normal, car ils sont déclenchés par Madame de Fichini, interprétée par Muriel Robin, qui nous a aussi bien faire rire avant la séance d'avant-première, en se moquant du fait que le public était majoritairement composé d'adultes et en demandant à une fille de 35 ans où étaient ses parents. Franchement, comment je peux dire ça autrement : elle était incroyable ! Vraiment, vraiment, vraiment affreuse et tellement choquante que terriblement drôle. Les réactions de la salle étaient tout à fait révélatrices.


Les Malheurs de Sophie est un film qui se voit en famille, ou avec ses proches ; avec des personnes qui comprennent l'attachement à ces histoires, ou à Christophe Honoré. Avec des ami-e-s qui sont conscient-e-s de la tristesse du monde, et de la beauté de l'enfance. Et je suis heureux d'avoir pu le voir de cette manière ; il apporte ainsi une belle conclusion à une histoire très personnelle, qui aura commencé un vendredi soir dans mon appartement, sous le secret d'un dossier MK2. Je le recommande plus que chaudement, je le recommande donc... incendiairement ?


Et puis s'il y a des gens parmi vous, lecteurs-ices fidèles et intrépides (coucou), qui sont des fans intenses de Paul, sachez que ce cher Paul a droit à deux séquences mémorables, dont une qui restera sans aucun doute mon moment cinéma préféré de l'année 2016. Et je pèse mes mots. Et ils ne sont pas très lourds, vu qu'ils ne sont que numériques, en fait.

dimanche 17 avril 2016

Le Livre de la Jungle : Limitations de l'imitation

Un petit humain nommé Mowgli a grandi dans la jungle élevé par les loups. Mais l'équilibre des espèces est menacé lorsque le terrible tigre Shere Khan s'en mêle ; Mowgli pourra-t-il continuer à vivre dans la jungle, ou bien devra-t-il retrouver le monde de ses semblables ?

Avec Neel Sethi, Bill Murray, Ben Kingsley, Idris Elba, Lupita Nyong'O, Scarlet Johansson et Christopher Walken.
Un film de John Favreau.



Un an après Cendrillon, Disney poursuit sa quête toujours bizarre mais acharnée de refaire ses classiques d'animation en film live. Et on peut continuer à se demander pourquoi un tel sacrilège, nous enfants qui avons appris à marcher en regardant Mowgli se prendre pour un éléphant, mais voilà, il faut voir les choses en face : les gens de Disney savent exactement ce qu'ils font. Ils l'ont prouvé avec le Cendrillon de Kenneth Branagh qui était tout bonnement excellent, et ils le prouvent une nouvelle fois avec Le Livre de la Jungle.

Non pas que tout soit réussi, attention. Mais ils ont compris quelque chose d'essentiel : cela ne sert à rien de refaire le dessin animé tel quel. L'histoire de Mowgli est riche, sa morale... plus que complexe (Kipling et le fardeau de l'homme blanc, tout ça...), et s'inspirer de sa trame d'origine pour en faire une oeuvre différente, voilà qui serait fascinant.


Du coup, Favreau et son équipe ont décidé d'en faire une fresque épique, riche en décors hauts en couleurs et en animaux majestueux - des loups claniques aux éléphants semi-divinisés -, sur un conflit à la limite du shakespearien entre un tigre dominateur sa mère, et un enfant perdu dans les méandres sinueux et sournois de sa quête existentielle. Le film fonctionne dès qu'il entre dans cette représentation épique, et John Favreau n'a jamais été aussi expressif en matière de représentation de l'héroïsme. Un comble pour un type qui a fait les deux premiers Iron Man ! Voir Mowgli courir partout dans la jungle, escalader des arbres façon Tarzan miniature, voir les animaux s'affronter comme des titans (Baloo vs Shere Khan les gars, c'est un peu démentiel à quel point ça défonce), jusqu'au face à face final, au cœur du brasier, à la David contre Goliath. Le tout est porté par une musique très riche et expressive de John Debney, que les grands connaisseurs reconnaîtront comme... le compositeur de la musique du manoir hanté du parc Disneyland Paris. Oui, j'ai dit grands connaisseurs.
Ce que j'ai préféré personnellement dans le film, c'est la représentation des humains tels que les voit Mowgli : ce ne sont que des silhouettes éclairées par le feu. En utilisant une imagerie immédiatement réminiscente de la caverne de Platon, Favreau nous montre la distance qui existe entre leur monde et celui d'un petit homme qui n'en a que le nom.


Donc tout ça, c'est génial, mais. Car il y a un mais, et même deux maintenant si vous savez compter. Le film ne fonctionne pas dans sa totalité, et c'est précisément parce qu'il tente aussi de faire des clins d’œils plus ou moins appuyés au dessin animé d'origine. Très mauvaise idée ! Parce que tout simplement, ils ne s'accordent pas du tout avec l'angle d'approche du film. Ainsi, toute la séquence avec Baloo ressemble plus à un cheveu dans la soupe de miel, tout comme la chanson du roi des singes, qui ici aussi paraît très étrange. C'est aussi dans ces moments que Favreau tente d'installer la morale du film... qui est super méga casse gueule. Les humains sont mieux que les animaux parce qu'ils savent inventer des outils ? Il ne faut pas vivre ailleurs qu'avec ses semblables ? Le fil rouge de la structure morale, essentielle dans tout film pour enfants, n'est pas clair.


Et ça, j'ai envie de dire tant mieux : car au final, dans cette version du Livre de la Jungle, on a l'impression que toutes les tentatives de morales contradictoires sont anéanties par l'affrontement final. C'est-à-dire que toutes les réflexions s'effondrent face à la nécessité de survie... ce qui fait des vingt dernières minutes du film une sorte de remake de Predator mais pour les enfants.

Il est clair que cette version ne plaira pas à tout le monde ; les clins d'oeils ne seront pas assez pour des puristes, l'angle d'approche épique et primal sera trop pour d'autres... mais dans sa tentative de ne pas imiter pour innover, Favreau construit une oeuvre qui a quelque chose de fascinant, et également son film le plus intéressant à ce jour.


samedi 16 avril 2016

Desierto : Gravity mais à la frontière americano-mexicaine.

Un groupe d'immigrés clandestins tentent de pénétrer sur le sol américain en traversant un désert. C'est sans compter sur un patrouilleur et son chien qui sont prêts à tout pour les empêcher de rejoindre le "pays des braves et des hommes libres".

Avec Gael Garcia Bernal, et Jeffrey Dean Morgan.


Quand je vivais aux USA, il y avait sur les milliards de chaînes de télévision disponibles une émission de télé réalité sur des gros malades qui vivent à la frontière mexicaine, et qui avec leur 4x4, leurs chiens, leurs fusils et leurs chapeaux de cow-boy, passaient tous leur temps libre à "protéger le pays". C'est-à-dire, chasser les clandestins qui fuient leur pays en galère pour venir galérer dans un lieu riche en mirages.


Si cette émission les présentaient en héros - rien qu'en l'écrivant j'ai l'impression de me vomir dans la bouche -, bébé Cuaron (que l'on connaît pour avoir co-scénarisé Gravity avec son papa Alfonso) a décidé de faire l'inverse. Desierto est donc une sorte de film d'horreur/western post-moderne ou un psychopathe (évidemment joué par Jeffrey Dean Morgan, aka Negan dans The Walking Dead) pourchasse et massacre des mexicains.


La dimension politique est évidente, mais pas forcément très appuyé ; elle est intelligemment toujours présente mais jamais mise en avant, comme dans tout bon film de genre au final. En d'autres termes : sans jamais être directement le sujet de l'action, on ne peut s'empêcher de la garder en tête de la première minute à la dernière.


Ce qui prime donc, c'est l'action ; et à ce sujet, Desierto est l'équivalent de Gravity. Tout ce dont on parle, c'est de survie en milieu hostile. Le désert et Jeffrey Dean Morgan sont l'équivalent de l'espace dans Gravity, pourchassant sans relâche les héros. C'est ultra violent, stressant et choquant, et jamais apologétique. La dernière demi-heure est outrageusement primale et finit par ressembler au final de Predator, ou à une forme de western postmoderne. Enfin, les derniers instants du film ont l'intelligence de nous montrer le véritable personnage principal : le désert. Et là je remarque qu'en disant cela je tombe dans le cliché de la critique de film indé qui se veut intelligente, mais voilà, j'en ai rien à branler de vos pastèques, parce que c'est vrai et na. Le désert est dans le titre et à l'image, il ne fait qu'envahir de son espace et n'est jamais accueillant. Au fond, le personnage de Jeffrey Dean Morgan n'est qu'une incarnation du désert, comme si ce dernier l'avait invoqué façon manga bien débile.


Bon le film a quelques défauts : le gentil est un peu trop parfait (on insiste biieeeen dessus franchement, c'est quelque peu agaçant), et surtout le méchant est bien trop fort au début du film. Du coup dès qu'il commence à faire des erreurs et à rater un tir par exemple sur le héros, ça n'est pas super crédible. C'est dommage qu'ils n'aient pas réussi à conserver une tension exemplaire sans tricher un peu sur les règles établies par le film, mais bon. Cela reste un bon film de genre assez original. Et puis surtout point intéressant : on peut constater une  volonté d'étude du spectacle quasi muet dans le cinéma latino de ces dernières années : entre Cuaron père et fils et Inarritu, pourrait-on parler d'un mouvement ?

dimanche 10 avril 2016

Demolition : L'Etranger.

Un jeune homme d'affaires tente de comprendre pourquoi la mort tragique et accidentelle de sa femme ne semble pas l'attrister. Dans le plus grand des calmes, il démolit sa vie morceau par morceau.


Beaucoup de films sont sortis cette semaine, mais je ne savais pas trop quoi écrire au sujet d'une grande majorité d'entre eux.
Mais il fallait quand même que je prenne le temps de poser quelques paragraphes au sujet de Demolition, le nouveau film du réalisateur québécois Jean-Marc Vallée, connu pour Dallas Buyers Club, Wild et bien sûr C.R.A.Z.Y. Pas beaucoup, mais quelques uns. Parce que voilà, j'ai adoré ce film qui n'a pas reçu un accueil critique ou public très chaleureux, et ce sont deux choses que je peux comprendre, oui oui oui. Mais tout de même ! 


Pourquoi est-ce que ce que ce film ne plaira pas à tout le monde ? Parce que, vous l'aurez compris, Demolition est très franchement mélo ; il oscille dangereusement sur un fil d'équilibriste de sa première à sa dernière minute, et il en revient au spectateur de parvenir à le suivre sans tomber dans les écueils qui l'entourent, tels des volcans plein de la lave en fusion. Ben oui quoi, un film sur le deuil, sur un accident tragique, sur des vies brisées, on est facilement dans le téléfilm qui sent le moisi façon fromage oublié dans un frigo débranché pendant quatre mois.


Et pourtant, je suis parvenu à garder le fil, à ne pas perdre pied ; c'est d'abord grâce au talent de conteur visuel de Jean-Marc Vallée, qui est toujours très narratif à l'image plutôt que dans la parlote. Les inserts permettent de suggérer et d'insuffler une émotion sans lourdeur. C'est ensuite par la performance de Jake Gyllenhaal, qui confirme encore et toujours son statut actuel de "acteur favori de Renaud". Cet homme est un monstre, il peut tout faire et est absolument captivant. Son interprétation est si juste que ses actions en deviennent franchement drôles : c'est-à-dire que son pétage de plomb progressif, qui se fait dans un calme à faire passer Doc Gynéco pour un lapin qui a bu douze tasses de café, paraît tellement vrai qu'il en devient jubilatoire. Il n'y a rien de plus drôle que l'humanisme mes choux, et du coup bah, on se fend la poire, d'un rire gorgé d'empathie. Je ne veux pas trop spoiler, mais la quasi totalité des meilleures scènes du film sont des interactions entre le personnage de Jake et un adolescent sexuellement confus, notamment une séquence qui inclut des armes à feu et un gilet pare-balles.

Et au final, Demolition parlera le plus à ceux qui se reconnaîtront dans le personnage. Dans ses difficultés à comprendre ses sentiments, dans son détachement face au réel, je n'ai pu m'empêcher de voir beaucoup de mes propres facettes, et troubles personnels, dans le héros. Mais si vous êtes à peu près sain d'esprit, ouais, je ne suis pas sûr que ce film soit pour vous. En résumé : Demolition, un film pour les démolis.

samedi 9 avril 2016

Gods of Egypt : Les Racistes du Zodiaque

Il fut un temps où le nom d'Alex Proyas pouvait faire frémir l'amateur de cinéma de genre ; une époque révolue où la simple mention d'un The Crow ou de Dark City pouvait faire briller les yeux des mortels.


Tout cela paraît bien loin en 2016, lorsqu'Alex Proyas sort Gods of Egypt, film assassiné par la critique et la société qui y voit à la fois un mauvais film et un exemple idéalement anachronique de whitewashing. Et ni l'un ni l'autre n'ont tort, hélas.


Gods of Egypt s'inspire de la mythologie égyptienne complexe et fascinante pour construire une histoire compliquée et barbante : les Dieux sont grands et forts, et ils dominent les hommes. Osiris, fils de Râ et père de Horus, se fait assassiner par son frère Seth qui prend le pouvoir sur le disque-monde. Oui parce que dans cette histoire, le monde entier est un disque dont une face représente le royaume des vivants, et l'autre le royaume des morts. Horus crée une alliance avec un humain (sacrilège ! Un humain, c'est si inférieur et naze !) pour reconquérir le monde et le libérer du joug de son frère.


Le film est moche, mal dosé, chiant comme un rat prof d'éco, prévisible et sans surprises pour 95% de son contenu. Gerard Butler en fait trop en Seth mais en même temps ce mec est tellement toujours intense que je paierais juste le voir commander un Big Mac, Brendan Thwaites est insipide, Elodie Yung (Elektra) est correcte en déesse de l'amour, Nikolaj Coster-Waldau est lourd, tous les autres presque sans exception n'ont aucun intérêt. Le pire de tout étant Chadwick Boseman qui joue Thoth le dieu du savoir, qui a été dirigé à la perfection si le but était de me faire pisser du sang par les oreilles.


En plus, le whitewashing fait vraiment mal aux yeux. Certes c'est un film de fiction, c'est une fantaisie en long en large et en travers, mais tous les figurants sont très variés dans leur physique. Les personnages principaux ne le sont pas, et c'est juste franchement super dommage. C'est vraiment gênant de voir un Danois blanc comme un cul danois être célébré par la population pauvre (pour ne pas dire esclave carrément) égyptienne quand eux sont basanés quoi. Et puis... Alex Proyas est égyptien. Et blanc. C'est quand même intéressant ça comme phénomène.


Mais j'ai bien dit 95%, parce qu'au final, sous des couches de caca de classicisme bidon, il se cache un film de qualité. C'est là qu'il y a de quoi être frustré, parce que beaucoup d'éléments sont captivants : les démons qui assaillent la déesse de l'amour, les serpents géants, la lutte perpétuelle de Râ contre le monstre qui veut dévorer le monde... En fait Gods of Egypt par moments ressemble aux Chevaliers de Zodiaque. On a même une princesse qui se prend une flèche en plein coeur, et le chemin des morts comme dans l'anime!

Malheureusement, toutes ses qualités indéniables n'apparaissent que sous les décombres gigantesques d'un cinéma démodé, aussi vieux et calciné que la mythologie qu'il mutile et colonise au fer blanc. Reviens Alex Proyas, s'il te plait. Reviens.