mardi 7 juillet 2015

Victoria : 2h14, zéro coupes.

Un jour, le réalisateur allemand Sebastien Schipper s'est réveillé en se disant qu'il en avait marre de se tourner les pouces. Il a voulu se sentir jeune, prendre des risques, faire un film qui lui fasse s'arracher les cheveux et qui serait un véritable défi en termes de réalisation. Alors il a tourné un film en un seul plan de 2h14, sans trucages, dans les rues de Berlin. Avec une dizaine de lieux de tournages, des passages en voitures, et certains passages plus ou moins spectaculaires (no spoiler). Victoria, c'est une jeune femme espagnole qui fait la fête dans Berlin, et qui est surtout très seule. Elle rencontre une bande de Berlinois excentriques et sympathiques, et tout un tas de trucs se passe.


Ce qu'il y a de particulier, avec les plans-séquences, c'est qu'ils sont par nature extrêmement contrôlés, millimétrés. On peut même les truquer maintenant, avec plus ou moins de réussite (le directeur de la photo de Children of Men, Gravity et Birdman est un peu le boss de fin de ce genre de délires), mais quand on est un gros malade comme Paul Thomas Andersen, Quentin Tarantino, Brian de Palma, et donc Sebastien Schipper, on fait ça comme ça. Mais ce qui différencie encore Victoria de ces autres réalisateurs, qui font du plan séquence une prouesse technique mais en plus une beauté esthétique calculée, c'est que là c'est le bordel total des glandus du pique-nique ! Caméra épaule qui suit des acteurs en semi-impro (oui parce que, hahaha, script de 15 pages avec moments-clés et le reste en impro, BIG LOL COMME SI C'ETAIT PAS DEJA ASSEZ COMPLIQUE), du coup c'est le foutoir, le focus est souvent en rade et on ne sait où regarder. Merveilleux ou prise de tête ?


Mais qu'importe, qu'importe car au delà du simple défi technique, qui est réussi et prenant, le film du coup se pose en contresens délicieux sur son approche du temps. Au cinéma, le temps est toujours une illusion, quoi que l'on fasse. La vidéo capture par fragments (24, 25, 30 fragments) des moments de fiction ou de vérité, puis le montage lui aussi ajoute son grain de sel quant à la quantification du temps. Et puis il y a le plan séquence, qui donc simule l'écoulement au plus près, mais c'est qu'il est d'autant plus trompeur dans Victoria.


En effet, les événements du film sont absurdes en 2h14. On voit plus le tout se dérouler sur une dizaine d'heure, ce qui veut dire que malgré l'apparente continuité le temps se contracte et se dilate, souvent à l'aide de la musique qui vient perturber les secondes qui passent et les muer en minutes, parfois en heures. Alors, qu'est-ce que cela veut dire ? Peut-être que c'est Victoria qui raconte le souvenir de cette nuit folle, d'une traite mais de manière condensée au rythme des danses de la mémoire. Dans tous les cas, ce qui compte, c'est que Victoria est un tour de force et assez intelligent pour nous faire réfléchir sur le temps au cinéma, même un tout petit peu, et ça, c'est inestimable.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire