En
août 2013, François Ozon apporte Jeune et Jolie
aux écrans français, petite sœur de cœur des Heavenly
Creatures, Virgin
Suicides ou encore
Pauline à la plage,
c'est-à-dire des films sur la découverte de l'amour et de la
sexualité par les jeunes filles. Loin de proposer un manifeste sur
la prostitution, de la glorifier ou la mettre en cause, Ozon met en
scène la sensualité d'Isabelle (Marine Vatch) et interroge l'effet
qu'elle produit sur son entourage. Au vu des ressemblances
thématiques évidentes, le parallèle avec l'adaptation de Lolita
de Stanley Kubrick est à la fois intéressant et inévitable. Lolita
et Isabelle ont le même âge – à deux époques différentes
cependant -, sont d'une beauté soulignée par le dialogue et
l'image. Leurs entourages ont leur parenté également : père
absent, une mère mal comprise et avec qui la relation mêle amour et
jalousie.
Pourquoi
alors cette séduction permanente, ce jeu, cette offrande du corps ?
Libre au spectateur de construire ses hypothèses, puisque les
raisons ne sont jamais claire. Est-ce l'ennui, ou l'envie de mettre à
l'épreuve un corps désiré ? Dans les deux cas, la situation
finale n'a pas d'incidence sur le mystère : Lolita est mariée
est enceinte, Isabelle retourne à des amourettes de lycée, et le
poids du passé, si présent dans l'esprit du spectateur, est absent
à l'écran. Les cinéastes restent tous deux allusifs, préférant
aux raisons les conséquences. Il faut voir les jeunes filles comme
« révélatrices du monde adulte » : Lolita se voit
interdite de participer à une soirée, tandis que les Farllow
parlent d'échangisme sans complexe. Chez Ozon, la mère est ravie de
voir sa fille se rendre à une fête entre lycéens, mettant en
lumière l'absurdité d'une société qui permet et encourage
certains types d'excès – comme la boisson – et en interdit
d'autres.
Et
si elles sont révélatrices, c'est bien parce que le motif du regard
orne les deux œuvres ; Le petit frère d'Isabelle, enfant et
voyeur qui observe sa sœur avec des jumelles est l'existant dans le
cadre du spectateur, comme l'explique Ozon dans l'Avant Scène Cinéma
de septembre 2013. Il est relégué au rang d'observateur distant,
incapable de percer le mystère. Le regard extérieur a cette force
destructrice de jugement, d'étiquette, de classement ; Ozon
construit donc son film sur plusieurs subjectivités allant vers une
objectivité dans la nature d'objet sexuel d'Isabelle, c'est-à-dire
dénuée de tout jugement. C'est une étude sur quatre saisons d'un
comportement, sans conclusions aucune.
Chez
Kubrick, Lolita est regardée à travers la subjectivité d'Humbert,
qui essaye de posséder cette vision, de garder Lolita pour lui seul.
La jeune fille est aimée pour l'image qu'elle renvoie et non pour ce
qu'elle est vraiment : «J'étais tombé sous le charme de
Lolita pour toujours ; mais je savais qu'elle ne serait pas pour
toujours Lolita ». Dans le film, l'obsession dont Lolita sera
l'objet est préfigurée par une ellipse spatiale qui l'introduit et
l'impose à l'esprit d'Humbert et à celui du spectateur. La
principale différence entre les deux films, c'est justement le
positionnement de ce regard : le spectateur accompagne Humbert
tandis qu'Isabelle échappe à tous les regards qui tentent de la
posséder.
Deux
peintures, deux époques, deux découvertes du pouvoir de la
séduction par des jeunes filles ; le sujet mérite la réflexion
et fait toujours parler : Lolita a dû se jouer de la
censure, et bien des décennies après Jeune et Jolie a eu
droit à son petit scandale, prouvant bien que ce sujet a encore de
quoi délier les langues.
Ecrit par Louisa Fourage.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire