« Obviously
you’ve never been a 13 years old girl »
Michigan,
seventies, une banlieue aux résidences sans saveur. Cecilia est la
première : elle est trouvée dans la baignoire, les veines
ouvertes. L'adaptation signée Sofia Coppola d'un roman fascinant et
troublant de Jeffrey Eugenides est extraordinairement fidèle: le
livre est le film, le film est le livre. Cinq suicides, ceux des
sœurs Lisbon, sont dépeints dans un mystère impalpable,
indéchiffrable. En cela, l'adaptation a de quoi être extraordinaire
en tant que telle : elle capte cette ambiance et cette
atmosphère si particulières et les dérobe à la page pour les
inscrire dans le cadre.
Les
sœurs habitent un cocon, évoluent dans un monde cotonneux d'un
tiède douceâtre : leur maison, tombeau annoncé par le titre
fatal, est doucement voilée dans les différents plans d'une lumière
orangée ou bleuâtre qui s'inscrit dans cette dimension opaque.
Cette lumière les accompagne et les suit en dehors de leur maison,
jusque dans les champs de blé dorés par l'été.
Sous
bien des aspects, ces adolescentes sont prisonnières d'un étau qui
ne fait que se resserrer au fur et à mesure que le temps diégétique
passe : dans le salon, les fleurs en tissu prennent lentement la
poussière, un sandwich posé dans l’escalier pourrit, les ormes
mourants de la rue tombent un à un. Bien sûr, la séquestration des
sœurs Lisbon dépasse la simple dimension physique et concrète de
l'enfermement au sein du cocon familial : leurs êtres sont tout
autant piégées par la nature de leurs corps de jeunes filles. Elles
sont perdues, à la recherche de quelque chose, du bonheur, de
l’amour, que Lux essaie vainement de trouver dans le sexe après
son histoire avec Trip Fontaine ; elles regardent des magazines
de voyage, et rêvent, rêvent à une autre vie en tentant d’échapper
au spleen et à la langueur qui se diffuse peu à peu dans leur
chambre.
La mort
de Cecilia, Mary, Lux, Bonnie et Therese est un mystère, autant pour
ces garçons qu’elles obsèdent, narrateurs et baromètres du temps
du film, que pour les spectateurs. Virgin Suicides est
construit sur cette énigme, autour de cette idée attirante et
terrifiante : l'incompréhension. C’est un secret dont il faut
trouver la clé, pour comprendre ces jeunes filles ; alors le
spectateur tâtonne et pense trouver des bribes de réponses ici et
là, mais les morts données ne laissent derrière elles que de
l'ordinaire, d’étranges formes brouillées. La vision poétique de
la mort, renchérie et embellie avec justesse par la bande originale
composée par Air, laisse finalement le mystère être ce qu'il est,
entier. D'un fait divers, il ne reste qu’un mythe insaisissable, un
mirage dont le sens a de particulier qu'il ne peut que nous échapper.
Ecrit par Mathéa Boudinet.
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