mardi 18 mars 2014

Virgin Suicides : se délecter du non savoir

     « Obviously you’ve never been a 13 years old girl »

Michigan, seventies, une banlieue aux résidences sans saveur. Cecilia est la première : elle est trouvée dans la baignoire, les veines ouvertes. L'adaptation signée Sofia Coppola d'un roman fascinant et troublant de Jeffrey Eugenides est extraordinairement fidèle: le livre est le film, le film est le livre. Cinq suicides, ceux des sœurs Lisbon, sont dépeints dans un mystère impalpable, indéchiffrable. En cela, l'adaptation a de quoi être extraordinaire en tant que telle : elle capte cette ambiance et cette atmosphère si particulières et les dérobe à la page pour les inscrire dans le cadre.


Les sœurs habitent un cocon, évoluent dans un monde cotonneux d'un tiède douceâtre : leur maison, tombeau annoncé par le titre fatal, est doucement voilée dans les différents plans d'une lumière orangée ou bleuâtre qui s'inscrit dans cette dimension opaque. Cette lumière les accompagne et les suit en dehors de leur maison, jusque dans les champs de blé dorés par l'été.

Sous bien des aspects, ces adolescentes sont prisonnières d'un étau qui ne fait que se resserrer au fur et à mesure que le temps diégétique passe : dans le salon, les fleurs en tissu prennent lentement la poussière, un sandwich posé dans l’escalier pourrit, les ormes mourants de la rue tombent un à un. Bien sûr, la séquestration des sœurs Lisbon dépasse la simple dimension physique et concrète de l'enfermement au sein du cocon familial : leurs êtres sont tout autant piégées par la nature de leurs corps de jeunes filles. Elles sont perdues, à la recherche de quelque chose, du bonheur, de l’amour, que Lux essaie vainement de trouver dans le sexe après son histoire avec Trip Fontaine ; elles regardent des magazines de voyage, et rêvent, rêvent à une autre vie en tentant d’échapper au spleen et à la langueur qui se diffuse peu à peu dans leur chambre.


La mort de Cecilia, Mary, Lux, Bonnie et Therese est un mystère, autant pour ces garçons qu’elles obsèdent, narrateurs et baromètres du temps du film, que pour les spectateurs. Virgin Suicides est construit sur cette énigme, autour de cette idée attirante et terrifiante : l'incompréhension. C’est un secret dont il faut trouver la clé, pour comprendre ces jeunes filles ; alors le spectateur tâtonne et pense trouver des bribes de réponses ici et là, mais les morts données ne laissent derrière elles que de l'ordinaire, d’étranges formes brouillées. La vision poétique de la mort, renchérie et embellie avec justesse par la bande originale composée par Air, laisse finalement le mystère être ce qu'il est, entier. D'un fait divers, il ne reste qu’un mythe insaisissable, un mirage dont le sens a de particulier qu'il ne peut que nous échapper.

Ecrit par Mathéa Boudinet.

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