Parmi les films les plus reconnus par la critique et le public à la fin de l'année 2014, on trouve deux films extrêmement noirs et très rafraîchissant, tous deux dépeignant les facettes les plus sombres des Etats-Unis : violence et obsession de l'image, de la représentation si belle - qui ne peut naître que d'un acte de violence.
Je dis par la critique, et non pas par l'académie ou les cérémonies, puisque ni Jake Gyllenhaal - qui incarne le "héros" de Nightcrawler - ni Channing Tatum - rôle principal de Foxcatcher - n'ont été nominés aux Oscars, malgré le fait que la performance du premier soit ma préférée de l'année entière (Pardon ? Mon avis n'aurait donc aucune importance ? Mais j'ai vu 126 films sortis en 2014 quand même ! Non ? On s'en fout ? Ok alors !). Foxcatcher n'est pas non plus nominé pour l'Oscar du meilleur film malgré ses nominations dans les autres catégories "majeures" (comme le disent les critiques bien placés, qui semblent oublier que l'académie récompense également les avancées scientifiques et met toujours l'accent - un petit accent - sur les prouesses visuelles et sonores du cinéma spectaculaire)... quant à Nightcrawler, il peut être très content d'avoir reçu une nomination dans la catégorie Meilleur Script Original, que Dan Gillroy mérite amplement. Passer du semi-nanar film cool Real Steel à ça, franchement je trouve ça beau.
Foxcatcher raconte la rencontre (véritable) entre un milliardaire descendant d'une famille fondatrice de l'histoire des Etats-Unis et un catcheur ; le premier est fou, excentrique, dangereux et passionné par la force physique, le deuxième est simplet, calme, inoffensif et champion olympique de lutte. Le milliardaire, joué par Steve Carell - qui transforme son Michael Scott de The Office pour en faire un monstre vulnérable et dérangé - décide de financer l'équipe nationale de lutte. Sa façon à lui de participer à l'effort de démonstration de la puissance américaine au moment de la Guerre Froide... ce qui est en accord avec l'histoire de sa famille, qui dès les débuts du pays a fourni des munitions aux révolutionnaires. Donc... il est fou, le catcheur est très influençable, très vite ça part en sucette quoi.
Nightcrawler suit un homme qui est, contrairement à ce que l'on peut lire ici et là, tout sauf fou. Il a des traits de sociopathe, mais ressemble aussi à quelqu'un qui aurait le syndrome d'Asperger. Le personnage de Jake Gyllenhaal veut réussir à monter son entreprise, gravir les échelons bref vivre le rêve américain en plein Los Angeles quoi ! Pour ça, il a étudié les affaires et les comportements humains. Il se lance par un coup du hasard dans la vidéo : les "nightcrawlers" sont des pseudos-journalistes qui guettent les accidents, meurtres, et vols en écoutant les radios de la police afin de filmer des scènes bien dégueulasses, puis les vendre aux émissions "d'information" locale qui pourront ainsi terroriser leurs spectateurs à grands coups de sensationnalisme malsain. Parce qu'attention, on ne diffuse pas n'importe quoi : un vol dans un beau quartier résidentiel blanc oui ! Un meurtre entre mexicains dans un coin glauque, ça n'intéresse personne (Vous vous souvenez de la fin de Boyz n the Hood?), il faut que les citoyens se sentent en danger !
Deux films donc qui parle des Etats-Unis et de sa mise en scène, sa mise en image. Les deux œuvres sont parasitées par les images, c'est-à-dire par des commentaires sur la réalité, l'invention d'une narration qui vise à construire un rôle. L'Amérique, c'est le masque qui cache le vrai pays : c'est John DuPont (Steve Carell) qui dirige un documentaire sur son rôle de coach et de leader de l'équipe de lutte, c'est Lou Bloom (Jake) qui déplace des photos de famille sur un frigo pour les mettre à côté des impacts de balle... l'invention, qui devient ensuite le message transmis par les médias. On en revient alors à 1984, avec ce héros dont le travail consiste à modifier les journaux du passé pour que le gouvernement ne se contredise jamais... lorsque le message est diffusé, lorsque le mensonge est sur toutes les lèvres, devient-il vérité ? La réflexion est d'autant plus intéressante que le cinéma est le medium le plus adéquat pour une telle réflexion sur l'image ; non pas que ces deux films eut besoin d'être métaphysique pour déchirer leur maman, mais avouez que c'est un plus non négligeable !
Pour des raisons personnelles, j'ai préféré Nightcrawler, ne serait-ce que pour son utilisation aberrante - c'est-à-dire géniale - de la musique : les thèmes et motifs qui accompagnent les succès de Lou Bloom sont similaires à ceux qu'on entendrait dans un film de super-héros (le compositeur a co-composé The Dark Knight et a dirigé toute la saga Hunger Games), et ce malgré la nature absolument abjecte et immorale de ceux-ci.
Bref. Vous voulez de la fichtre de bonne performances d'acteurs, de la direction extrêmement discrète et bien mesurée, des histoires assez excellentes et par dessus cela une réflexion sur la notion d'image, je vous recommande ces deux bijoux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire