Là je triche un peu, car ce film n'est pas réellement sorti en 2015 ; All About Eve est sorti il y a 65 ans... mais j'ai profité d'une rediffusion au cinéma à l'occasion de sa restauration numérique pour le découvrir. Et mazette. Fichtre. Grands dieux. Mille milliards de mille sabords. Saperlipopette.
65 ans, c'est un sacré retard pour crier au génie, et il est clair que le film ne m'a pas attendu pour faire parler de lui à la fois auprès du public de l'époque, des critiques et des cérémonies : meilleur film, meilleur scénario, meilleur réalisateur, meilleure actrice... tout ça de raflé aux Oscars, bim comme ça hop là jte mets la misère. Parlons donc un instant d'une oeuvre gigantesque, d'un réalisateur hors pair.
Réalisateur que je ne connaissais pas avant. De nom, bien sûr, parce que tout de même je lis beaucoup sur le cinéma, mais je n'avais rien vu de lui, ne savait rien de son style, de ses marottes. En rentrant du cinéma, une recherche rapide sur Wikipedia me confirme ce que j'avais déduit de son All About Eve : Joseph Leo Mankiewicz est un réalisateur avec une maîtrise de la mise en scène et de la direction d'acteurs absolument magistrale, et qui navigue aisément entre les nuances de ton - du tragique au comique - sans se casser la figure. Cette recherche Wikipedia me révèle d'ailleurs que j'avais déjà vu un film de Joseph auparavant : c'était Jules César, adapté de la pièce de Shakespeare, avec Marlon Brando dans le rôle de Marc-Antoine, que j'avais vu en cours de grec au collège... le film m'avait tellement marqué que j'avais rejoué massacré le discours de Marc-Antoine dans mon premier film. Donc, Joseph, comme on se retrouve !
All About Eve parle d'une actrice de théâtre grandiose (Bette Davis, elle-même grandiose) qui doit s'admettre à elle-même, et faire admettre à son dramaturge, qu'elle vieillit. L'histoire du film décrit sa rencontre et son déclin face à une nouvelle actrice, jeune, belle, innocente, modeste, modèle... trop innocente. Trop modeste. Trop modèle. Une lente chute et une ascension vertigineuse qui se croisent, voilà le cœur d'un film qui en a bien plus à dire. Au milieu de tout ça, on trouve une querelle Hollywood/Broadway qui 65 ans plus tard est encore bien fringante (hello Birdman), une représentation du monde de la critique d'art terriblement authentique, ainsi que des histoires sentimentales véritablement touchantes. On retiendra notamment le personnage du metteur en scène, qui a le côté cool de Humphrey Bogart et l'humour d'un Robert Downey Jr., un véritable régal.
Le film est magistral en lui-même. Manckiewicz a vraiment un truc pour diriger des acteurs et les diriger dans l'espace avec une cohérence et un ludisme jubilatoire ; et le film joue sur les tonalités, entre comique de situation, répliques tordantes et noirceur cynique, sans jamais se prendre les pieds dans le tapis, se fracasser la tête et se retrouver ridicule face à une très jolie femme qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Marylin Monroe. Sauf que c'est vraiment Marylin Monroe ! Elle joue un de ses premiers rôles au cinéma ici (elle apparaît dans deux séquences, brièvement), et déjà sa présence est incroyable. Et son typecasting en blonde écervelée... soupir.
Et heureusement qu'il y a de l'humour, et plusieurs trames romantiques aux fins - relativement - heureuses, car autrement le constat final du film serait totalement déprimant. C'est un portrait du succès dans sa nature éphémère qui nous parle d'autant plus aujourd'hui, à l'ère des fifteen minutes of fame prédites par Warhol. La fin du film ne pourrait pas être mieux réussie dans sa présentation d'un cercle sans fin qui rend toute tentative de réussite futile. Le temps ne s'arrête ni pour les désœuvrés ni pour les enchantés.
All About Eve n'est pas seulement un grand film, c'est également une oeuvre qui a inspiré d'autres monuments auxquels je n'ai pu m'empêcher de penser en le découvrant : dans l'ordre, Sunset Boulevard de Billy Wilder, sur une ancienne diva du cinéma muet qui croit encore à sa gloire, puis Opening Night de John Cassavettes, ou une actrice de théâtre (Gena motherfucking Rowlands) doit accepter son âge pour jouer un rôle (et les plans d'extérieurs du théâtre semblent être dans mes souvenirs exactement les mêmes que dans All About Eve), et bien sûr The King of Comedy de Martin Scorsese, et plus récemment Black Swan d'Aronofsky. Voilà donc une sacré de putain de liste, si je peux me permettre !
Il est donc temps de mater d'autres films de ce Joseph L. Manckiewicz. Hop là.
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