Franchement, je ne connais rien au cinéma asiatique. Je pourrais faire semblant, et parler du génie des grands cinéastes japonais, d'Ozu à Kurosawa en passant par les gros malades comme Miike et Sono (Love Exposure, huh, je ne me remettrai jamais de ce film. Le film de 4h le plus court du monde), de l'inventivité du cinéma coréen avec Park-Chan Wook et Bong-Jon Hoo, du génie des films d'action hong-kongais et chinois de John Woo, des comédies de Jackie Chan et Stephen Chow... sauf que je n'ai vu que quelques films de tous ces gens, et que je suis loin de maîtriser le sujet. Donc clairement, je le dis, mes connaissances en cinéma asiatique sont très limitées.
Alors pourquoi je suis allé voir Sea Fog, production coréenne sortie dans très peu de salles ce mercredi ? Parce que sur l'affiche, il y a écrit en gros BONG JON HOO. Et que ce mec a fait Snowpiercer. Et que Snowpiercer est gigantesque. Voici donc quelques mots sur le premier film de Sung-Bo Shim, le co-scénariste de Memories of Murder de Bong-Jon Hoo ; ce dernier signe le scénario de Sea Fog et profite de son succès international récent pour produire le long métrage et y associer son nom pour attirer un public. Et ça marche, sinon je ne l'aurais pas vu !
Sea Fog raconte la tragédie maritime d'une petite bande de pêcheurs coréens, qui suite à de gros soucis financiers sont obligés d'assurer le passage de clandestins de la Chine à la Corée du sud. La première scène du film donne le ton tout de suite en confrontant le quotidien de l'équipage, tout plein de camaraderie et de bonne cuisine (détail inutile du film mais chouette quand on repère la cohérence du truc : le capitaine est un ancien chef), à une musique clairement déprimante. Les notes de piano servent de choeur antique, histoire de mettre tout le monde d'accord dès le début : nous sommes dans une tragédie, le happy ending peut aller se jeter à la mer tout de suite, personne ne lancera de bouée de sauvetage. Bon, peut-être pas totalement, mais le ton de la fin du film est à peu près aussi débattable que celui de Snowpiercer, dirons-nous.
Et la comparaison n'est pas anodine ; si certaines critiques auraient préféré voir dans Sea Fog une représentation acerbe et virulente d'un réel problème de société (le film est d'ailleurs l'adaptation d'une pièce de théâtre elle-même inspirée d'une histoire vraie), Sung-Bo Shim n'en a que faire et se sert de la question des clandestins pour mettre en scène une œuvre bien plus proche de la passion et la grandeur d'un Shakespeare, que d'un Jean-Paul Sartre. On nous présente des archétypes : le capitaine, prêt à tout pour sauver son navire, les deux obsédés sexuels, le chef machiniste empathique, et le jeune premier qui découvre la réalité de la vie après ses études prestigieuses. Et dès que les clandestins (dont des femmes, wink wink) se déversent sur le bateau par tempête, tous les codes sont menacés ; le quotidien n'est plus, et c'est peu à peu l'horreur qui prend place. Les éléments et le destin se retrouvent confrontés à des personnages qui sont tous caractérisés avant tout par des désirs, profonds et inébranlables. Une fois que la la cible du désir est menacé, le personnage change pour parvenir à ses fins... classique, mais tellement efficace.
Et plus l'horreur s'installe, plus le film gagne en puissance. Si pendant la première moitié de film, la mise en scène un peu hésitante de Sung-Bo Shim peut laisser sur sa faim - elle manque un peu de prise de distance pour donner la puissance allégorique que le film aurait pu atteindre -, dès lors que les catastrophes s'enchaînent et que les personnages se transforment en monstres malgré eux, trahissant pour certains la confiance du spectateur, le lyrisme s'installe et on se croirait en beau milieu d'un poème du pré-romantisme (ce qui n'est pas forcément lié à des histoires d'amour par ailleurs... y a-t-il un mot qui a plus mal vieilli que romantisme ?) gothique de Coleridge. Et c'est là que Sea Fog devient réellement jubilatoire ; pour faire simple, ça change des films catastrophes américains, qui ont trop souvent tendance à se terminer sur une note heureuse (une interprétation de cette obsession est faite par Robert McKee dans Story, et elle est tout à fait intéressante si jamais ça intéresse quelqu'un. Toi là-bas, avec ton bonnet sur la tête ? Vraiment ? Très bien, je vais te prêter mon exemplaire), ce qui a bien sûr son charme ; mais le renouveau, ça fait du bien par où ça passe. Par les yeux donc, et les oreilles.
A bien des égards, l'élément le plus magnifique et terrifiant de Sea Fog est la transformation du capitaine, véritable Macbeth coréen, dont la chute libre s'oppose à l'émancipation et la révolte du jeune étudiant, qui lui s'apparente plus à un héros sorti tout droit d'une pièce de Corneille. C'est leur affrontement idéologique au sein de l'enfer des mers amères qui sublime la deuxième partie du film, et qui m'a fait dire que clairement, je devais mater plus de films asiatiques. Parce que ça déchire sa mer ! #finirsurunjeudemotpourri
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