lundi 31 août 2015

Dheepan : Jacques Audiard, l'éléphant du cinéma.

Bon, autant se le dire : le fait que moi, petit cinéphile à bulle, fasse un article sur la génialitude absolue du film qui a récolté la Palme d'Or à Cannes cette année, ne devrait pas avoir beaucoup d'impact. C'est-à-dire que trois des plus grands réalisateurs vivants à ce jour, les frères Coen et Xavier Dolan, puis un des maîtres les plus accomplis dans le cinéma, Guillermo Del Toro, sans parler de celui que j'ai désigné comme meilleur acteur américain Jake Gyllenhaal, mais aussi Sophie Marceau Rossy de Palma Sienna Miller et Rokia Traoré, ont tous décidé que ce film était celui qui mériterait d'entrer dans l'histoire.


Donc je ne vais pas m'étendre sur le fait que le film est plus qu'excellent. Sur la qualité d'une histoire, celle d'une famille fatalisée qui n'en porte que le nom, atrophiée car arrachée à sa culture jusqu'au point de ne pas pouvoir communiquer. Sur la grandeur d'un montage sans bavure et pourtant divinement rythmé, sur la violence montrée ou terriblement voilée, sur une caméra qui jamais ne filme parce qu'"on fait comme ça" mais toujours pour s'exprimer là où Dheepan et sa famille ne le peut pas... sur tout ça, je ne souhaite pas m'éterniser, ni vous convaincre. Voyez-le et vous comprendrez de vous-même la puissance de ce que Jacques Audiard a pondu.


C'est bizarre comme image, Jacques Audiard qui pond, mais pas autant que ce que lui raconte sur le film. En nous présentant son oeuvre aux Halles (ça a l'air classe comme ça mais c'était ouvert au public, non je ne vais pas aux projections presses, dans mes rêves), il nous a décrit le tout comme un origami en forme d'éléphant et qui quand on déplie, n'est que du papier froissé. Un film qui tremble, mais qui était censé trembler. Ouais, sans plus d'explication, on a du mal à le suivre, mais pensez-y : le pauvre, on a décidé qu'il parlait politique, faisait des films qui parlent de la société française, et du coup il y a controverse, alors il ne lui reste qu'à parler de la substance de son film avec des images un peu tarées, mais finalement pas absurdes. Attention, que certains médias avertis et instruits refusent sa filmographie à coups d'arguments bipèdes, comme ces messieurs de chez Stéphane Delorme, je comprends et j'accepte. Mais quand on voit les conneries qu'on peut lire dans la presse populaire et à la radio... oui, Audiard filme dans les cités, non il n'a pas grandi dans une cité, non il ne fait pas un film sur l'histoire coloniale de la France, le Sri Lanka c'pas vraiment français et ça fait partie du scénario par ailleurs sans déconner, non il ne tente pas de faire passer un message politique et putain ça crève l'écran et les yeux. Audiard raconte des histoires, et il le fait si bien qu'il nous plonge dans le réel du faux. Souvent, ça prête à confusion, mais sa démarche, contrairement à celle qui a menée à Samba, n'est faite d'aucun faux pas. Pour paraphraser Truffaut, le cinéma c'est un cocktail de vérité et de spectacle. C'est une définition parmi tant d'autres, mais qu'est-ce qu'elle sied à Jacques Audiard bordel. Je veux bien que l'expression "le meilleur réalisateur français" n'ai aucun sens, car je le pense aussi, et beaucoup mériteraient un tel titre, mais si on devait l'attribuer à quelqu'un, et que ce quelqu'un était Jacques Audiard, cela ne me dérangerait pas franchement.


Mais surtout, ce que je voulais dire sur ce film, et j'y pense puisque Martin Scorsese va venir le présenter au Forum des Images bientôt, c'est qu'en fait c'est totalement comme Taxi Driver. Voyons voir si vous êtes d'accord avec moi : c'est l'histoire d'un homme qui a été changé par la guerre. Le titre du film le désigne, mais ce n'est pas vraiment lui, c'est un surnom ou un nom d'emprunt qui décrit le fantôme qu'il est devenu. Dans l'histoire, il y a une femme, qui peut se rapprocher de lui puis se voir trahie par les cicatrices de sa folie. Il y a aussi une plus jeune fille à protéger, et des monstres, qui dérangent le monde. Et puis, à un moment, le film change de ton, et bascule dans la violence, graphique, masquée, visible, affreuse, morbide, choquante. Et puis il y a la fin ; le rêve, le fantasme perdu qui finit par peindre du sang coulé une toile qui dissimule l'âpreté de ce qu'elle cache. Taxi Driver et Dheepan se ressemblent énormément, à une différence majeure : celle de la compassion. Et en cela, Jacques Audiard ose ce que Martin Scorsese se permet rarement (mais le fait à merveille à chaque fois qu'il le fait), il parle de compassion, il n'a pas peur de l'aimer les monstres que les hommes ont créé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire