samedi 17 octobre 2015

L'homme Irrationnel : L'homme était presque parfait

Franchement, ça va faire bizarre quand Woody Allen et Clint Eastwood seront morts. Ben quoi c'est vrai, les boloss sortent un voire deux films par an, à force on s'habitue ! On devrait pouvoir se repérer dans le temps comme ça. Arthur ? Non, c'est pas vrai, Arthur ? Mais ça fait au moins quatre Woody Allen qu'on s'est pas vus, qu'est-ce que tu deviens ? Ah t'es une femme maintenant ? Tu t'appelles Arthurette ? C'est vachement chouette mon gars ! Enfin, ma gaillarde. On devrait se faire une bouffe. Et un ciné ouais, pourquoi pas ? Tu veux pas aller voir le dernier Woody Allen justement ?


(...)

Alors ma chère Arthurette t'en as pensé quoi ? Si on résume, Woody reste avec sa muse du moment Emma Stone mais la place moins en valeur que dans le précédent où elle bénéficierait de l'aura du fantasmagorique. Oui, on est d'accord, il se concentre presque uniquement sur son personnage principal, le professeur de philosophie dépressif joué par Joaquin Phoenix. Donc, si j'ai bien compris, le film raconte comment un nouveau prof débarque dans une fac américaine prestigieuse - oui en effet tu as raison, j'ai beaucoup pensé à mon année universitaire à Chicago pendant le film, c'était extrêmement ressemblant - et vient bouleverser la vie d'une étudiante. Sa vie, ses douleurs la fascinent, tout autant que son auto-destruction la terrifie.


C'est vrai, tu as raison, la première partie du film ressemble à du Woody Allen classique. Des belles personnes, filmées dans des couleurs chaudes et avec des focales longues dans le but d'esthétiser. Tout est beau chez Woody Allen, comme dans un souvenir chéri. Et puis au milieu de tout ça, il observe encore et toujours les hautes sphères de l'intellect anglo-saxon avec son esprit mordant, qui parfois fait mouche et parfois agace de cynisme. Cette fois, il est assez doux et en retrait pour faire forme de cadre à l'histoire qui va suivre, et tant mieux on est d'accord mon bien vieil Arthur, enfin Arthurette ! C'est vrai, ce cadre léger et cérébral lui sert à mieux installer à sa manière une intrigue hitchockienne autour de son obsession permanente : le crime parfait !


Qu'en as-tu pensé Arthurette ? Personnellement j'ai été séduit par ce scénario inhabituel, et son traitement au sein du style envolé et sobre de Woody, qui tranche par exemple avec des aventurées plus sombres comme Le Rêve de Cassandre. Depuis deux films, et donc deux ans, ce bon vieux Woody Allen a de bonnes idées scénaristiques et il semble s'amuser beaucoup. Deux bonnes années ma chère amie. Content de t'avoir recroisée, on se verra au prochain du coup ?

dimanche 11 octobre 2015

Asphalte : Peinture sur béton

Mangez de l'asphalte, mangeurs d'asphaltes ! J'offre un DVD à la personne qui trouve d'où vient cette phrase. e DVD sera celui du film Asphalte, quand il sera sorti, et ce sera une excellente acquisition parce que ce film déchire sa brebis spatiale activiste écolo.


Asphalte, ce sont trois histoires entrelacées, reliée par un H.L.M délabré. Un jeune lycéen qui rencontre sa voisine, une ancienne actrice, un résident asocial coincé qui refuse de payer pour la réparation de l'ascenseur parce qu'il habite au premier et qui soudain se retrouve en fauteuil roulant, et un astronaute américain qui atterrit sur le toit par erreur et attend la NASA chez une maman marocaine. Oui, si vous avez bien lu les derniers mots que je viens d'écrire, vous devriez être en train d'halluciner tout azimuts, parce que nom de dieu cette dernière histoire semble brillante et folle, et vous savez quoi, c'est le cas mais j'y reviendrai plus tard.


Pourquoi asphalte ? Parce que c'est ce qui envahit l'image ici, c'est le décor, ce mélange de bitume et de granulats qui est franchement moche. Et dans ce cadre moche, trois histoires et six personnages décident de nous montrer dans un format carré à la fois triste et plein de profondeur toute la beauté et l'amour que le monde recèle. Un peu comme si le but était de nous montrer comment l'homme, avec un gros fuck you à la science, est capable de générer quelque chose de tangible à partir de rien du tout ; au milieu du néant, il créé l'amour, la compassion et le rire.


Car si l'on rit beaucoup dans ce film, avec et des personnages, ce n'est qu'avec un cynisme en forme de voile, qui s'envole au moment même où l'astronaute rencontre la maman arabe. C'est bien simple, leurs scènes sont parmi les plus touchantes, drôles, et bouleversantes que j'ai jamais vu. Aucun sens du vraisemblable dans Asphalte, mais beaucoup de vrai, et beaucoup de semblables imprévus. Asphalte, c'est ce moment où l'on retourne sur Terre, où le sol revient nous toucher ; parfois avec violence, parfois avec douceur, mais dans tous les cas c'est un retour les pieds sur terre qui s'ouvre vers l'avenir plutôt que d'enfoncer dans le chaud goudron.

mardi 6 octobre 2015

Sicario : Et le monstre s'en prit à la Bête

Il m'est impossible de ne pas parler du nouveau film de Denis Villeneuve sur ce blog. Bon, non, pas littéralement évidemment, il ne faut pas croire que quelqu'un me tient en joue actuellement et m'ordonne d'écrire sous peine de perdre ma vie, car de toute façon même dans ce cas il me serait possible de ne pas en parler. Je serais mort, mais ce serait possible. M'enfin, toujours est-il que ce blog a commencé par un article sur son précédent film Prisoners, alors voilà voilà les ptits chats, qu'en est-il maintenant ?


Sicario, présenté à Cannes et rentré bredouille, selon Premiere parce qu'il avait trop de liens avec les membres du jury (Un acteur fétiche en Jake, les frères Coen qui partage le même directeur de la photo - le meilleur - Roger Deakins, un compatriote en Xavier Dolan, un ami proche en Guillermo Del Toro...), selon les Cahiers parce que le film est raté. Ne soyons pas si décisifs, cessons d'écouter les autres et faisons-nous un peu notre avis. Donc voici le mien :


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Ouais. J'ai un petit problème, je n'arrive pas à savoir quoi penser de ce putain de film. C'est-à-dire que je suis extrêmement mitigé, pas dans un sens où tout m'a semblé terne mais dans le sens où certains éléments m'ont subjugués tandis que d'autres m'ont laissé de marbré. Sicario raconte comment une agent de police - Emily Blunt - se retrouve embarquée aux côtés de la CIA dans une opération liés aux cartels mexicains. Le film se construit alors autour d'un trio complexe entre la policière réglo qui se retrouve désemparée et fauchée par l'horreur abjecte de leur entreprise diaboliquement nécessaire, un flic insupportable jouer par l'éternel insupportable Josh Brolin, et enfin un mexicain mystérieux et terrifiant, campé par Benicio del Toro.


Le problème majeur selon moi, c'est qu'il est difficile de voir où Villeneuve veut en venir avec tout ça. Le monde est dur, le monde est infect et affreux, il nous plonge dedans en nous forçant à nous questionner sur les opérations de la CIA tout en nous rattachant au personnage d'Emily Blunt qui perd sa féminité dans un monde d'hommes à grosses couilles qui puent. Mais au delà de ça... où allons-nous ? Et c'est là que le tout est surprenant, car je l'avais déjà dit au sujet de Prisoners, Villeneuve est tellement doué en mise en scène que c'en est limite pas permis. Le type devrait être interdit de réaliser des séquences comme celle des serpents dans Prisoners, celle du tunnel dans Enemy ou dans Sicario, celle de l'expédition au Mexique puis celle du tunnel et enfin toute la fin du film. Parce qu'il le fait avec tellement de puissance, que c'en est tout de suite impressionnant ! Et en plus, épaulé par le génie de Roger Deakins à la photo qui ne tombe dans aucun travers - ça c'est réservé aux porcs -, cela permet des séquences absolument géniales (de cette scène où les policiers vomissent chacun dans leur coin suite à leur découverte aux plans aériens des voitures de la CIA à la frontière). Mais pour dire quoi, là est le souci à mon sens. On verra bien comment il s'en sort avec le prochain, et pas des moindres puisqu'il doit réaliser la suite de Blade Runner. Ouais...


Malgré tout cela, il est toutefois délicieux de remarquer comment les obsessions et autres marottes s'installent au fur et à mesure de l'oeuvre de Villeneuve. Lui qui ne cesse de parler de l'Amérique le symbole, voilà qu'il l'étend au continent et continue de dépeindre la destruction de la famille et la vilaine et malsaine structure patriarcal qui règne en ces lieux. Dans Sicario, la famille est forcément cible de la violence, mais aussi son bouclier... que dire alors de la solitude terrible d'Emily Blunt et Benicio del Toro ? Vous le saurez en allant voir le film !

dimanche 4 octobre 2015

Les Deux Amis : Tragicomique Tricéphale

Vite ! Fermez les yeux et écoutez. Non, non attendez non, ouvrez les yeux, ça ne va pas marcher, j'écris je ne parle pas. Bordel. OUVREZ LES YEUX ! Bon, ok. Concentrez-vous et essayez donc d'imaginer un film à partir de ce pitch : un homme un peu loser est amoureux d'une espèce de Cendrillon qui travaille dans une gare. Lui et son meilleur ami, loser aussi mais beau gosse, ne savent pas que si Cendrillon disparaît tous les soirs, c'est parce qu'elle doit en réalité rentrer en prison...


Voilà. Franchement, avec un pitch pareil, on s'attend à la nouvelle "comédie" romantique de Nick Cassavettes, produite par les gros caca d'Universal ; le pitch est fun, et c'est exactement le genre d'idée qui attirerait les foules par son concept avant de l'assassiner à coups de pieds de mammouths comme ils savent le faire (sérieusement, c'est toujours la même chose : le premier acte présente une originalité, le dernier acte fait rentrer tout le monde dans le rang. Happy endings wouhou confettis au cyanure bande de putes).


Sauf que Louis Garrel. Voilà, petit Garrel qui est autant héritier de son père biologique que de son deuxième père artistique Christophe Honoré (co-scénariste sur Les Deux Amis, ce qui ne me surprend pas quand on voit le génie de certaines des répliques, cet homme a un talent verbal absolument agaçant), quand il prend une idée aussi cool, il ne la pervertit pas. Est-ce que son histoire de triangle amoureux improbable est une comédie ? Non, mais putain qu'est-ce qu'elle est drôle. A bien des égards, Louis Garrel ne se détache pas de la Nouvelle Vague et de ses marottes : une femme et deux hommes, les cafés, les scènes de danse (dans des cafés, ben oui), et surtout des épanchements passionnants sur les passions jamais passives de ses héros, avec un détachement qui crée le décalage humoristique qui rappellera Jules et Jim ou Bande à Part aux amateurs.


Car il est vrai que le sujet est tragique, mais Louis Garrel n'a pas peur de dire que souvent, c'est drôle le tragique ; Les Deux Amis est donc une comédie romantique au véritable sens du terme, c'est-à-dire qu'elle raconte avec humour des désespoirs émotionnels. On rit avec les personnages, comme dans cette scène où Mona profite d'une véritable douche (par contraste avec la première scène du film) et se touche sous l'eau chaude (son rire et sa manière de se mordre le bras : boum, magique. Cinéma mon salaud tu es beau) et on rit des personnages, notamment lors de ce passage gigantesque où Louis Garrel déclenche l'alarme de la voiture de son meilleur ami.


Peut-être est-ce là le secret pour réussir à parler d'amour correctement dans un film ; le faire sincèrement, mais avec un certain recul et un regard sur soi-même qui permet ainsi l'émotion sans tomber dans le pathos, et naviguer autour du pathétique sans jamais l'approcher réellement. Et c'est également ce recul qui permet à Louis Garrel de se construire un commentaire personnel sur sa personne (les poèmes, le côté beau gosse qui tire la tronche), en questionnant sans cesse la dimension du regard et du voyeurisme. Car si le regard se porte d'abord sur Mona, sous la douche, il se déplace ensuite vers les deux hommes et leur relation, dans une mise en scène sans cesse miroitant notre rapport au personnage de Mona. Oui, elle est au cœur du film pour le spectateur, mais Louis Garrel joue avec cette position sans cesse pour nous rappeler que son film s'appelle Les Deux Amis.

jeudi 1 octobre 2015

Everest, Le Prodige : cette critique s'inspire de faits réels

Voilà deux films qui ont comme ambition de nous raconter de véritables événements en passant par la fiction ; c'est courant, c'est vrai, rarement réussi, parfois génial et fascinant, et cette fois-ci extrêmement frustrant. Car tous deux, au delà de nous raconter quelque chose à peu près dont la manière dont cela s'est passé, n'ont pas grand chose à offrir.


Everest raconte comment, en bravant la mort de façon stupide, tout un tas de gens ont trouvés la mort de façon stupide. Le film s'inspire du premier événement catastrophique depuis la popularisation de l'ascension du mont le plus haut de la planète (du moins dans les terres émergées messieurs dames du jury), qui a eu lieu en 1996. En gros, il y a trop de touristes qui viennent tenter la grimpette, et les groupes se foutent dans la merde et boum, y a plein de morts. Le problème majeur du film, c'est qu'il raconte uniquement l'anecdote en lui ajoutant des fioritures à droite à gauche ; c'est-à-dire en nous forçant à nous attacher aux personnages et à être triste quand ils souffrent. Là, et je ne peux que parler pour moi, on est face à un souci majeur : le film passe son temps à expliquer que l'homme n'est pas fait pour aller aussi haut, que les poumons se noient, qu'on crache du sang, qu'on devient aveugle... donc clairement, tous ceux qui tentent cela et qui en plus ne sont pas alpinistes, bah je les trouve stupide ! Le film annonce "faut pas faire ça" au début, et la conclusion est donc "fallait pas faire ça".



Frustrant donc, parce qu'une telle histoire a beaucoup de potentiel. Déjà, dans le rapport de l'homme à sa mortalité ; on aurait pu avoir des personnages qui se voient confrontés à l'absurdité de leur entreprise, tout en la sublimant avec un putain d'existentialisme bien sympa, à la Herzog quoi. Mais pour ça, il aurait fallu s'émanciper du piège de l'"histoire vraie" et oser inventer une fiction qui parle du réel sans bêtement en reprendre des faits. Par exemple, Spielberg n'a pas besoin de faits dans Saving Private Ryan, uniquement de vérité. Dans Everest, le réalisateur recréé des photos à l'identique, mais l'authenticité ne fait le moine. Et si on veut rester sur les faits, et bien autant s'en servir pour dire quelque chose ! Par exemple, commenter sur le fait que l'Everest est devenu surpeuplé, et ce en mettant ces morts de 1996 en perspective : il y a quelques années encore, plein de gens sont morts ! Et encore plus drôle, des organisateurs des montées sur la montagne ont voulu interdire l'escalade à certaines personnes, ce qui leur a été interdit par des associations sur les droits de l'homme. Et par certaines personnes, j'entends des handicapés moteurs, et des aveugles. Sérieusement, c'est tellement débile que ça mérite d'en parler dans le film, et de servir une ironie aussi mordante que le vent des sommets du Népal ! Mais non. Donc, tant pis.



Le Prodige aussi s'enferme dans le biopic documentariste sans substance, en narrant la vie de Bobby Fischer le champion d'échecs et ses affrontements successifs face aux Russes de manière totalement linéaire, pour enfin terminer sur plusieurs minutes d'images de documentaires ! Sérieusement les cocos, si vous vouliez faire un documentaire, faîtes un documentaire, parce que là ça n'a plus aucun intérêt. En se libérant de ses contraintes et en utilisant à un meilleur escient (je suis à peu près certain que ça ne se dit pas mais je doute que l'académie française lise ce blog. Si c'est le cas : les mecs j'adore le "mot-dièse") le contexte de la Guerre Froide, on aurait pu voir comment les idéologies d'une des périodes historiques les plus fascinantes de l'histoire ont ruiné la vie de simples personnes qui sont devenus des personnages de deux Histoires officielles s'affrontant sur terre et dans l'espace. Heureusement pour les fans de Guerre Froide comme moi, et les fans d'échecs, il existe déjà une oeuvre sur le sujet : la comédie musicale Chess, composée par les gens d'Abba. Ouais, sérieusement, ça existe, et c'est génial. Check it out people.