Vite ! Fermez les yeux et écoutez. Non, non attendez non, ouvrez les yeux, ça ne va pas marcher, j'écris je ne parle pas. Bordel. OUVREZ LES YEUX ! Bon, ok. Concentrez-vous et essayez donc d'imaginer un film à partir de ce pitch : un homme un peu loser est amoureux d'une espèce de Cendrillon qui travaille dans une gare. Lui et son meilleur ami, loser aussi mais beau gosse, ne savent pas que si Cendrillon disparaît tous les soirs, c'est parce qu'elle doit en réalité rentrer en prison...
Voilà. Franchement, avec un pitch pareil, on s'attend à la nouvelle "comédie" romantique de Nick Cassavettes, produite par les gros caca d'Universal ; le pitch est fun, et c'est exactement le genre d'idée qui attirerait les foules par son concept avant de l'assassiner à coups de pieds de mammouths comme ils savent le faire (sérieusement, c'est toujours la même chose : le premier acte présente une originalité, le dernier acte fait rentrer tout le monde dans le rang. Happy endings wouhou confettis au cyanure bande de putes).
Sauf que Louis Garrel. Voilà, petit Garrel qui est autant héritier de son père biologique que de son deuxième père artistique Christophe Honoré (co-scénariste sur Les Deux Amis, ce qui ne me surprend pas quand on voit le génie de certaines des répliques, cet homme a un talent verbal absolument agaçant), quand il prend une idée aussi cool, il ne la pervertit pas. Est-ce que son histoire de triangle amoureux improbable est une comédie ? Non, mais putain qu'est-ce qu'elle est drôle. A bien des égards, Louis Garrel ne se détache pas de la Nouvelle Vague et de ses marottes : une femme et deux hommes, les cafés, les scènes de danse (dans des cafés, ben oui), et surtout des épanchements passionnants sur les passions jamais passives de ses héros, avec un détachement qui crée le décalage humoristique qui rappellera Jules et Jim ou Bande à Part aux amateurs.
Car il est vrai que le sujet est tragique, mais Louis Garrel n'a pas peur de dire que souvent, c'est drôle le tragique ; Les Deux Amis est donc une comédie romantique au véritable sens du terme, c'est-à-dire qu'elle raconte avec humour des désespoirs émotionnels. On rit avec les personnages, comme dans cette scène où Mona profite d'une véritable douche (par contraste avec la première scène du film) et se touche sous l'eau chaude (son rire et sa manière de se mordre le bras : boum, magique. Cinéma mon salaud tu es beau) et on rit des personnages, notamment lors de ce passage gigantesque où Louis Garrel déclenche l'alarme de la voiture de son meilleur ami.
Peut-être est-ce là le secret pour réussir à parler d'amour correctement dans un film ; le faire sincèrement, mais avec un certain recul et un regard sur soi-même qui permet ainsi l'émotion sans tomber dans le pathos, et naviguer autour du pathétique sans jamais l'approcher réellement. Et c'est également ce recul qui permet à Louis Garrel de se construire un commentaire personnel sur sa personne (les poèmes, le côté beau gosse qui tire la tronche), en questionnant sans cesse la dimension du regard et du voyeurisme. Car si le regard se porte d'abord sur Mona, sous la douche, il se déplace ensuite vers les deux hommes et leur relation, dans une mise en scène sans cesse miroitant notre rapport au personnage de Mona. Oui, elle est au cœur du film pour le spectateur, mais Louis Garrel joue avec cette position sans cesse pour nous rappeler que son film s'appelle Les Deux Amis.
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