De nombreux sites et magazines ont catégorisé Beyond Clueless, réalisé par Charlie Lyne, comme un documentaire ; ce qui est à mon sens une erreur. Ce film tout récent, dont le titre fait référence à un film immensément populaire sorti en 1995, Clueless, n'explique rien sur le phénomène culturel, les conditions de production ou de réception des teen movies. Que dalle du tout qu'on vous dit. Non, au contraire, il s'agit d'une sorte d'étude théorique qui mélange exposé, anthologie et - la meilleure partie de loin - montage expérimental.
Le film est découpé en cinq parties, sans compter un prologue et un épilogue ; le propos est simple, il s'agit de présenter les développement thématiques des teen movies à partir d'un échantillon allant de 1995 jusqu'à... 2007 je crois ? En tout cas, ça fait plus de deux cent films. Dans ce chapitrage, une voix-off nous explique les différents étapes : la présentation de la jungle du lycée avec les différents groupes, la présentation des individus qui tentent d'exister en dehors de ce cadre prédéfini, imposant et terrifiant, les extrêmes qui régissent cet univers (le sexe et la violence, duh) puis enfin l'émancipation progressive qui mène jusqu'à la découverte de soi - cette dernière phase étant accompagné d'un montage assez dingue de jeunes ados qui, dans un nombre incalculable de films, se touchent. Joli.
L'un des premiers intérêts du film, c'est qu'il accompagne ses chapitres théoriques d'une série de présentations à titre d'exemples, ce qui permet de découvrir des films peu connus, et pour la plupart assez barrés. Qui n'a pas eu envie en sortant de la salle d'aller voir Slap Her, She's French! dans lequel une jolie étudiante française débarque dans un lycée américain, remplace la coqueluche du lycée et impose le port du béret pour les gens cool ? Ou encore Idle Hands, dans lequel un adolescent veut absolument se taper Jessica Alba, tant et si bien que sa main droite emmagasine toutes ses frustrations jusqu'à prendre conscience et devenir meurtrière ? Et bien sûr, Bubble Boy, dans lequel on peut voir Jake Gyllenhaal jouer un ado ayant grandi dans une bulle. Non, il n'a aucune maladie, c'est juste que sa mère a peur de le laisser affronter le monde ; il y a notamment une scène assez tarée où il a sa première érection et sa mère lui fait réciter le Serment d'Allégeance au Drapeau jusqu'à ce que le problème soit réglé. Et genre le mec se barre de chez sa mère et part en road trip ! Dans sa bulle ! Mais c'est quoi ce film ??!?
Le deuxième intérêt du film devrait être le message de la réalisatrice, sa présentation des thématiques des teen movies, mais force est de constater que ce qui est dit dans le documentaire est extrêmement superficiel. Au sens littéral, c'est-à-dire que les images présentent en dehors de quelques exceptions (notamment une réflexion sur la "fille moche" qui n'est en fait pas du tout moins jolie, mais trop hors du système de caste pour être remarquée) un type de film immensément riche, très codifié et source de nombreuses interrogations, mais dans son étude elle ne fait que gratter la surface, sans jamais réellement s'attaquer à ce qu'il y a de réellement fascinant. Du moins, le film ne le montre pas directement, et c'est le véritable deuxième intérêt du film, qui en fait un véritable plaisir sensoriel : les montages dynamiques qui font le lien entre toutes ces oeuvres de part des moments types (la scène de la piscine, la scène de sexe, le bal de promo, et surtout la scène de violence, meilleur moment de Beyond Clueless de très loin) sont extrêmement évocateurs et par une simple superposition et un effet Koulechov basique mais efficace, ils amènent du sens là où l'image seule n'en a pas.
C'est en voyant ce film pseudo documentaire pseudo expérimental que j'ai réalisé que le teen movie est sans doute mon genre de film favori ; qu'est-ce que révèle Beyond Clueless au final ? C'est que ce n'est pas vraiment un genre, c'est un contexte ; les lycées du cinéma américain sont un fantasme, une illusion qui fonctionne par qu'elle mêle un lieu et des expériences que nous avons presque tous vécus,avec l'irréel. Ils existent dans une sorte de super-réalité qui permet donc une stylisation à l'extrême - qui passe beaucoup par la musique - et des archétypes qui parlent à tous ; le sportif, la starlette, le nerd, le héros. On a tout dans le teen movie : l'individu qui tente de trouver sa place au sein d'un monde complexe et hostile, les histoires d'amour qui ont la magie des romances de jeunesse , la violence et le danger qui font naître les héroïsmes... l'adolescent, c'est un peu l'être humain exacerbé pour qui tout est intense, et pour cette raison, lui faire faire du cinéma, c'est une source d'inspiration inépuisable. Car le genre permet toutes sortes de métaphores et ainsi de se greffer à d'autres genres : ce n'est pas si surprenant si la majorité des films cultes de ce type soient des films d'horreur ou des films fantastiques. Ces films-ci poussent tout simplement le côté surréel du teen movie à son paroxysme. Notamment dans son traitement de la violence... c'est comme si Elephant (et surtout l'histoire dont il s'inspire) avait marqué un triste tournant où la folie de la fiction avait envahi le monde réel. Et le résultat, c'est que de nos jours il y a bien plus de teen movies qui se veulent sérieux et réalistes... plus de rêve. C'est des gamins alcooliques, des élèves qui couchent avec leurs profs... ce n'est pas ce que moi, je souhaite voir.
Je profiterai donc de cet article pour proposer une liste de mes teen movies préférés, sans me limiter à la période de ce film ci, et cela me permettra d'illustrer ainsi la grande variété de thèmes et de tonalités que l'on peut retrouver dans ce genre si particulier :
Risky Business
Tout le monde connaît la scène de Tom Cruise qui danse dans son salon, peu connaissent ce film qui raconte comment un adolescent tente d'impressionner une fac en créant une genre de maison avec des escort girls pour lycéens dans le domicile de ses parents. C'est drôle, c'est fantasmagorique, c'est sexy, ça déchire.
Donnie Darko
La métaphore de la puberté, encore une fois. La difficulté d'être en individu dans un monde où tout le monde semble être complètement frappé... LE film ultime de Richard Kelly, une BO incontournable, une histoire franchement incompréhensible (sans la Director's Cut), une tuerie absolue.
Carrie
Le premier film, celui de De Palma. Encore une fois, un traitement un peu what the fuquesque de la puberté (la première scène du film montre Carrie qui a ses règles pour la première fois dans les douches du lycée, avant de se faire bien humilier sa race pour cela par ses camardes). J'ai rien à dire d'intelligent sur ce film, il est parfait c'est un de mes films préférés.
Rock 'n Roll High School
Une comédie musicale avec les Ramones, par les Ramones. Je le mets en grande partie parce qu'il n'est absolument pas connu en France et qu'il mérite d'avoir du succès.
Rushmore
Mon film préféré de Wes Anderson. Ici, la recherche de l'identité passe par un refus de reconnaître sa famille (enfin, le papa) et par une intégration à absolument toutes les communautés du lycée. Un bijou inestimable.
Dazed and Confused
Richard Linklater adore filmer le temps. De manière condensée ou étirée. Ici, il a décidé de raconter la soirée après le dernier jour de lycée : les nouveaux terminales vont aller faire leur fête aux futurs lycéens. C'est un petit moment de beauté parce que c'est une poésie qui devient bizarrement authentique au fur et à mesure du film.
Et puis un millier d'autres, au moins.
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