Toujours délicat, comme sujet. Mais heureusement, Nicholas Winding Refn et Paul Verhoeven sont deux des auteurs les plus intéressants sur cela, et enchaîner les deux est donc fort instructif.
Commençons par le Verhoeven. Adapté d'un roman de Philippe Djian, ce cher réalisateur foufou hollandais, connu pour Basic Instinct, Starship Troopers, Robocop, Total Recall ou encore Showgirls ou Turkish Delights si vous êtes un vrai bourrin. Lui est habitué à faire scandale et controverse, et à être tantôt célébré comme visionnaire féministe, tantôt à être crucifié comme machiste misogyne notoire. Un tel grand écart ne peut signifier qu'une chose : Verhoeven manie des histoires et des personnages qui dérangent. Tant et tellement que le film a été refusé par toutes les actrices américaines, qui ne pouvaient pas imaginer jouer un rôle aussi surprenant dans le cinéma américain. Heureusement, nous, pour le meilleur comme pour le pire, on n'a pas trop de limites. Et ça tombe bien, parce que Verhoeven, il serait sur Pluton sans casquette qu'il n'aurait pas froid aux yeux.
Et là, pour son retour au cinéma après 10 ans d'absence, il signe son film le plus dérangeant, sans aucun doute. On y parle d'un viol, d'une femme violée et de ses réactions peu conventionnelles face à la chose. Son personnage, dont les antécédents sont plus que particuliers (elle hait la police suite à une tragédie d'enfance liée à son père et à elle-même... à dix ans elle fut considérée comme coupable alors qu'elle était très clairement victime, forcément ça déglingue un peu), est le point central du film, celui qui lui donne toute sa matière à débat. La richesse du film tient en partie à celle des personnages, assez nombreux, qui l'entourent : leurs interactions semblent découler naturellement de leurs existants fictifs. L'autre point fort, c'est une mise en scène assez inattendue qui se permet de mêler au cadre du cinéma français stéréotypé (riches parisiens, familles brisées, repas tragicomiques, hommes machistement dégueulasses...) une approche plus melo, plus film de genre. D'ailleurs à ce sujet, si les personnages les plus clichés fonctionnent bien dans ce cadre (l'affreux Robert, la voisine catho, le fils paumé), on peut regretter que certains retournements de situation et autres révélations soient trop évidents. mais passons. La musique se joue des airs de thriller, les acteurs évitent le naturalisme du jeu très habilement, ce qui a finalement pour résultat de faire ressortir davantage toute la perversion de cette histoire. Il est clair qu'en termes de représentation de la femme, cela fait débat, mais comme toujours avec Verhoeven, c'est tant mieux : c'est qu'il nous dérange de la bonne manière, en nous faisant nous poser des questions là où nos esprits ont trop peur d'aller chercher. Vieux malade va. Jsuis bien content de te revoir. Maintenant fais-nous ton film sur Jésus !
The Neon Demon quant à lui, s'en prend plus au matérialisme du monde de la mode : comme souvent, Nicholas Winding Refn manipule des clichés : après l'Homme, le Ultimate Ryan Gosling, il s'attaque à la Femme, celle qui est purement plastique, éphémère et irréelle. Un cliché quoi, dans tous les sens du terme : le corps qui emplit l'image, l'être bigger than life. Le pitch est simple, comme toujours (une jeune fille douce et innocente débarque à LA pour être mannequin, ; elle séduit par sa candeur et sa nouveauté et rend folle ses concurrentes plus agées/expérimentées), l'exécution ne l'est pas.
Si vous avez vu du Refn avant je ne vous surprendrai pas en disant que : tout est esthétiquement démentiel ET motivé (des miroirs et des miroirs et des miroirs partouuuut), le travail sur les couleurs a une puissance sensorielle incroyable, c'est lent et étrange, porté par de la musique électronique (Cliff Martinez toujours au top) que je ne saurais qualifier autrement que d’atmosphérique parce que j'ai la flemme d'ouvrir un dictionnaire et de trouver le mot exact qu'il me faudrait ici. Moins classique que Drive, mais tout de même plus accessible que Valhalla Rising ou Only God Forgives, pour lesquels il fallait quand même s'accrocher ferme pour rester dans le délire, The Neon Demon est aussi un film extrêmement simple. Je veux dire par là que son message, car il y en a un, et c'est celui de la futilité des obsessions plastiques, tout en magnifiant la cruauté de ce monde qui recherche l'authentique au milieu du vomi, n'est pas révolutionnaire. Mais il n'empêche que son exécution et son approche mérite le détour ; cela vaut notamment dans la manière où Refn utilise avec extrêmement de brio tous ses automates, puisqu'à leur manière ils gravitent tous autour de cette obsession de la chair, qui nous ramène forcément à la mort. Du gérant du motel violeur campé par Keanu Reeves, à Jena Malone en dangereuse psychopathe (son monde ? La mode et la morgue. 10/10), sans oublier bien sûr Elle Fanning, l'incarnation de cette beauté dont tout le monde souhaite s'emparer, et Christina Hendricks qui transporte tout un personnage en à peine 5 minutes à l'écran, tous sont orientés vers la même direction. Bien sûr certains éléments me restent actuellement assez hermétiques dans la richesse des imageries, notamment tout ce qui touche à ces triangles de lumières, et au titre même du film, The Neon Demon, mais ça si vous souhaitez en causer avec moi, ce serait avec joie !*
Nous avons donc là deux films qui touchent aux femmes, et qui leur font beaucoup de mal, mais qui le font bien. Deux oeuvres d'auteurs qui dérangent mais qui le font avec talent et qui nous ont pondu deux sacrés bombes.
*petit-aparté : très heureux de voir qu'un féministe très vocal comme Refn ne fait pas que parler, et que son film est co-écrit par deux femmes, que la directrice de la photo est une femme ainsi que la co-productrice. Parler c'est cool, agir c'est mieux.
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