dimanche 18 janvier 2015

Les Nouveaux Sauvages, Damián Szifron


Plus tôt cette semaine, le nouveau film de Damián Szifron a été nominé aux Oscars pour le meilleur film étranger de l'année 2014, contrairement à, par exemple, le film de la sélection canadienne, le Mommy de Xavier Dolan. D'un côté, un film pop humaniste, courageux, sur l'héroïsme et la beauté de chacun d'entre nous, et de l'autre, une série d'histoires courtes reposant sur le postulat que les hommes et les femmes sont des putains d'enculés.

On aurait pu penser que le film de Xavier Dolan aurait plus de chances de décrocher une nomination que la fresque cynique de l'argentin Szifron, les Oscars symbolisant l'idéalisme américain à son paroxysme, la réussite et le triomphe de la liberté et de l'homme face à l'adversité... mais peut-être la catégorie des films étrangers est à part.


Contrairement à une grande partie des critiques et du public (comme je l'ai bien compris pendant la séance, puisque j'étais le seul à ne pas rire), je n'ai pas du tout aimé Les Nouveaux Sauvages. Exposer la nature bestiale de l'homme, son irrationalité et sa perversion est pourtant un sujet qui peut me séduire, mais ce n'est pas ce qui m'a déçu dans ce film, c'est dans son manque d'expressivité.

Les Nouveaux Sauvages est une série d'histoires brèves, allant de 5 à 30 minutes, ayant toute pour thème un certain pétage de plomb aux proportions totalement loufoques. Et au moins trois des histoires sur les six ont tout pour être désopilantes : la première par exemple, montre les passagers d'un avion se rendre compte qu'ils connaissent tous le pilote, et que celui-ci va crasher l'avion pour se venger de ce qu'ils ont pu lui faire subir dans sa vie (ex-copine, prof de musique, ancien psy...).


Et c'est là que le film est démesurément frustrant à mes yeux : là où les idées sont excellentes, le langage cinématographique ne suit pas. Les dialogues et les scènes ne fournissent pas aux acteurs ni à la mise en scène assez de tension pour aller réellement dans le déjanté, la folie totale, tout est présenté avec un académisme aberrant quand on le compare à la noirceur de ce que l'image illustre : des tromperies, des meurtres, des explosions, des caca sur ton pare-brise (oui oui, c'est dans le film)... Et par dessus cela, Szifron a le culot de mettre quelques plans acrobatiques ici et là, en fixant la caméra à une porte ou à une roue de voiture, mais sans que cela n'ait absolument aucun intérêt dramatique !

Une bonne idée ne suffit pas à faire un film ; j'aurais bien vu le script retapé puis redirigé par quelqu'un comme Tarantino, quelqu'un qui comprend bien ce genre de cinéma mais qui utilise avec plus de justesse le rythme de l'image, le montage, et les feux d'artifices grotesques. Là, on ne va jamais assez loin pour éprouver de l'empathie ou aller vers la jubilation de l'excès...


Mais peut-être le film vous aura fait rire, et tant mieux, et tant pis pour moi !  Car c'est bien triste à dire, mais le seul critique à être d'accord avec moi d'après mes lectures est Pierre Murat, et ça, c'est franchement rare.

vendredi 16 janvier 2015

A Girl Walks Home Alone At Night

"Le premier western vampire iranien". Forcément, quand on vent un film de la sorte, ça donne envie ! Et évidemment, cela place la barre outrageusement haut en termes d'attentes, ce qui n'est pas vraiment un cadeau au final. Amis spectateurs, passez outre, et si vous appréciez le cinéma qui s'installe dans la lenteur et la musique, n'hésitez pas à vous pencher sur ce film.


Premier long métrage de la réalisatrice iranienne Ana Lily Armipour, AGWHAAT (oui, il est foutrement long ce titre vous ne trouvez pas ?) décrit la vie d'une ville pétrolière déserte, sale, glauque. "Bad City", comme l'appellent les personnages. Non loin des machines qui pompent le sang de la terre, un immense tas de corps humain en décomposition, qui semble ne choquer personne.

Au milieu de tout ça, on suit une poignée de personnages : le héros, en galère financière à cause de son père, devenu accro à la morphine. Un dealer de drogue, et une vampire. Le scénario n'est pas vraiment surprenant, mais cela n'empêche pas le film de séduire : il est lent, mais pas comme un prof d'histoire qui s'embrouillerait dans ses notes et répéterait quinze fois une remarque la chute de l'Empire Ottoman, plus comme une promenade en bateau au coucher de soleil. Il se savoure et se laisse porter par une bande-son pop rock de toute beauté. Rien de révolutionnaire dans le spectre du cinéma international, mais rappelons-le : c'est un film iranien ! Par UNE réalisatrice ! Donc, ça, c'est quand même vachement cool, pour parler avec lyrisme et style.



Au delà de tout ça, la grande force du film, c'est de donner un souffle de vérité à ce lieu imaginaire, et ce malgré le faible nombre de personnages ; ils sont tous assez archétypaux (et non caricaturaux... à l'exception du dealer de drogue) pour donner l'impression d'une vaste fresque. Bad City semble vraie, malgré son absurdité, un peu à la manière des villes dans les films de David Lynch. Donc,  joli mensonge, cher film !


Hard Day

Attention, grand n'importe quoi en vue. Et pas au loin, comme le bateau d'Astérix aperçu au loin par les pauvres pirates, non, là c'est du grand n'importe quoi directement dans ta face, genre ton téléphone qui te pète à la tronche, bim.



Sorti lors de la première semaine de 2015 en France, Hard Day, thriller coréen de Kim Seong-hun, raconte l'histoire d'un flic pas entièrement réglo qui est obligé de cacher des papiers compromettants lors de la soirée où sa mère est enterrée. Et vu que sa vie c'est pas encore assez de la merde, il renverse un type en voiture, et tente de cacher le corps.

Le reste du film est un mélange entre humour noir à la Coen bros - c'est-à-dire un humour naissant de l'absurdité des situations et de la position du spectateur, qui en sait plus que les personnages et peut ainsi rire du décalage créé, et de la misère de l'homme - et une intrigue policière plus classique; des magouilles au sein des forces de l'ordre, un complot de grande ampleur qui apparaît au fur et à mesure du film... le tout culminant en un affrontement finalement assez classique dans le fond (le héros face au méchant) mais totalement barré dans la forme.


On retiendra surtout du film une grande maîtrise des scènes de tension : lorsque le héros tente de s'infiltrer dans la morgue pour cacher le corps renversé sur la route dans le cercueil de sa mère sans se faire repérer, et qu'il fait passer le corps par un conduit d'aération en le tirant avec un jouet appartenant à sa fille, et lors d'une scène impliquant une bombe et deux personnages ennemis.

Un bon film !


samedi 12 juillet 2014

Les meilleurs films de Hugh Jackman

Mais qu'est-ce que c'est que cette tournure de phrase ? Pourrait-on attribuer le succès d'une oeuvre filmique à l'un de ses acteurs, comme ça, rien qu'en claquant des doigts ?

La réponse est, bien sûr, non. Pour autant, cela ne nous empêche pas de considérer des acteurs pour les rôles surprenants, hors normes ou encore effarants qu'ils peuvent interpréter. Alain Resnais et Sydney Lumet le disent eux même : ce sont les actrices et les acteurs qui avant tout les attiraient au cinéma. Penchons-nous alors sur un acteur à travers quelques films qui méritent un ou deux visionnages, voire plus si affinités.

Hugh Jackman

Homme de spectacle, comme le prouvent ses nombreuses apparitions en tant que maître de cérémonie aux Tony ou aux Oscars, et sa carrière qui a débuté sur les planches de West End, dans une interprétation d'Oklahoma!, Hugh Jackman a vu sa carrière se lancer grâce aux films de X-Men dans lesquels il interprète Wolverine, mutant aussi reconnaissable par ses griffes en adamantium que par ses rouflaquettes.

Et puisque qu'un directeur de casting a été assez fou pour imaginer qu'un chanteur et danseur australien puisse interpréter le super-héros le plus viril de la planète, Hugh Jackman n'a pas dû avoir beaucoup de mal à en convaincre d'autres de sa versatilité. Voici donc une liste purement personnelle et très réduite des cinq meilleurs rôles - et meilleurs films - de Hugh Jackman.

5. Scoop, Woody Allen



Dans ce film, un des plus étranges que Woody Allen a réalisé ses dernières années - il s'ouvre par une scène sur un bateau sur le fleuve des Enfers -, Hugh Jackman a le rôle du mauvais, du fourbe, du manipulateur et de l'opportun. La majeure partie de l'histoire joue sur les mensonges permanents qui font la conversation et le rapprochement de Peter Lyman, artistocrate ambitieux, et Sondra Pronsky (Scarlett Johansson), journaliste quelque peu maladroite. La seconde tente de démasquer le premier, soupçonné d'être un tueur en série avide de prostituées.

Jackman est délicieux dans ce monde faux-semblants et joue avec les masques et les attentes de ce milieu de la haute - à la fois intellectuelle et sociale - dont Woody Allen se moque sans cesse avec cruauté et déraison.

4. Les Misérables, Tom Hooper



Ce rôle, c'est un peu un retour aux sources, au jeu le plus émotif et le plus direct - et donc souvent critiqué et mal aimé et ce tout particulièrement en France -, celui de la comédie musicale. Interpréter le grand Victor Hugo et travestir son texte par la musique et l'anglais, c'est un crime pour certains, mais un peu d'ouverture d'esprit et le fait est là : Hugh Jackman est un parfait Jean Valjean. Il joue la force du personnage dans la carrure, ses faiblesses dans sa fuite permanente et ses peurs, et il transmet par la voix cette dimension spirituelle qui fait la beauté édifiante de nombreuses œuvres du dix-neuvième.

Ce qui frappe avant tout, c'est l'absence de distance entre les personnages - et donc celui de Jean Valjean - et le spectateur ; gigantesques sur un écran de cinéma, ils sont alors infiniment plus humains, car toutes les aspérités de leurs êtres sont visibles.

3. The Prestige, Christopher Nolan



Sans doute un des films les plus méconnus de Christopher Nolan avec ses premiers essais (c'est-à-dire un film largement vu malgré tout), The Prestige met en scène une rivalité entre "deux" hommes et a l'intelligence de mener son spectateur en bateau ; c'est une oeuvre qui, tout comme The Sting (L'Arnaque en français), est structurée autour de son propos même : la duperie, le mensonge et l'illusion.

Le personnage de Hugh Jackman a tout du héros macabre d'une tragédie shakespearienne : obsédé par une vengeance qui se mêle à un complexe d'infériorité sans ne plus savoir les dissocier, il est prêt à tout sacrifier pour percer le secret d'un tour de magie. On voit alors l'acteur jouer avec son image d'homme de spectacle, habitué des cérémonies et des projecteurs, mais avec une noirceur époustouflante. A voir, et à revoir.

2. Prisoners, Denis Villeneuve



Sans aucun doute le film le plus noir de sa carrière à ce jour, c'est une histoire affreuse à la mise en scène glaçante, et ce dès la première image du film, où l'on voit un cerf être abattu en forêt, et s'effondrer dans une neige sans reflets, sans espoir et sans providence. Hugh Jackman interprète un père de famille dont la fille disparaît le soir de Thanksgiving. La suite pourrait être une lente et incessante descente aux Enfers si toute idée de spiritualité n'était pas anéantie par le langage du film ; c'est un tableau d'une Amérique dépouillée et désespérée qui ne trouve aucune autre solution que la violence pour s'en sortir.

Le personnage de Hugh Jackman est celui dont la chute est la plus frappante, tout simplement parce qu'elle est la plus présente à l'écran. D'abord victime, il endosse très vite le rôle de bourreau et force le spectateur à remettre en cause son attachement au personnage. Un film résolument humain, certes très sombre et parfois insoutenable dans sa dureté psychologique, mais humain malgré tout.

1. The Fountain, Darren Aronofsky



Avant que Noah soit le vilain petit canard dans la filmographie de Darren Aronosky, The Fountain tenait ce rôle à merveille : mal aimé, mal compris et rejeté, le simple fait de proclamer son amour pour le film peut faire passer pour un hipster/réactionnaire qui veut paraître plus intelligent qu'il ne l'est. Il n'y a pourtant rien du paraître dans ce film, qui est résolument concret ; c'est-à-dire que les images, aussi farfelues et inhabituelles qu'elles soient dans leur esthétique et leur enchaînement, ne font que parler de thèmes universels. L'amour, et la mort.
Le personnage de Hugh Jackman aime une femme. Cette femme l'aime. Cette femme est confrontée à la mort. Une particularité cependant : trois époques y sont représentées et entremêlées, pour raconter une seule et même histoire, celle d'un amour perdu, et d'un espoir de vivre. Ce que montrent les quatre films qui précédent dans cette liste, c'est que Hugh Jackman sait transmettre les émotions les plus simples - et donc par essence, les plus fortes -, et il met ici sa technique au service d'un film atypique mais résolument humain.

mardi 18 mars 2014

Virgin Suicides : se délecter du non savoir

     « Obviously you’ve never been a 13 years old girl »

Michigan, seventies, une banlieue aux résidences sans saveur. Cecilia est la première : elle est trouvée dans la baignoire, les veines ouvertes. L'adaptation signée Sofia Coppola d'un roman fascinant et troublant de Jeffrey Eugenides est extraordinairement fidèle: le livre est le film, le film est le livre. Cinq suicides, ceux des sœurs Lisbon, sont dépeints dans un mystère impalpable, indéchiffrable. En cela, l'adaptation a de quoi être extraordinaire en tant que telle : elle capte cette ambiance et cette atmosphère si particulières et les dérobe à la page pour les inscrire dans le cadre.


Les sœurs habitent un cocon, évoluent dans un monde cotonneux d'un tiède douceâtre : leur maison, tombeau annoncé par le titre fatal, est doucement voilée dans les différents plans d'une lumière orangée ou bleuâtre qui s'inscrit dans cette dimension opaque. Cette lumière les accompagne et les suit en dehors de leur maison, jusque dans les champs de blé dorés par l'été.

Sous bien des aspects, ces adolescentes sont prisonnières d'un étau qui ne fait que se resserrer au fur et à mesure que le temps diégétique passe : dans le salon, les fleurs en tissu prennent lentement la poussière, un sandwich posé dans l’escalier pourrit, les ormes mourants de la rue tombent un à un. Bien sûr, la séquestration des sœurs Lisbon dépasse la simple dimension physique et concrète de l'enfermement au sein du cocon familial : leurs êtres sont tout autant piégées par la nature de leurs corps de jeunes filles. Elles sont perdues, à la recherche de quelque chose, du bonheur, de l’amour, que Lux essaie vainement de trouver dans le sexe après son histoire avec Trip Fontaine ; elles regardent des magazines de voyage, et rêvent, rêvent à une autre vie en tentant d’échapper au spleen et à la langueur qui se diffuse peu à peu dans leur chambre.


La mort de Cecilia, Mary, Lux, Bonnie et Therese est un mystère, autant pour ces garçons qu’elles obsèdent, narrateurs et baromètres du temps du film, que pour les spectateurs. Virgin Suicides est construit sur cette énigme, autour de cette idée attirante et terrifiante : l'incompréhension. C’est un secret dont il faut trouver la clé, pour comprendre ces jeunes filles ; alors le spectateur tâtonne et pense trouver des bribes de réponses ici et là, mais les morts données ne laissent derrière elles que de l'ordinaire, d’étranges formes brouillées. La vision poétique de la mort, renchérie et embellie avec justesse par la bande originale composée par Air, laisse finalement le mystère être ce qu'il est, entier. D'un fait divers, il ne reste qu’un mythe insaisissable, un mirage dont le sens a de particulier qu'il ne peut que nous échapper.

Ecrit par Mathéa Boudinet.

mercredi 12 mars 2014

Regards et Nudités : la jeune fille observée chez Ozon et Kubrick

 En août 2013, François Ozon apporte Jeune et Jolie aux écrans français, petite sœur de cœur des Heavenly Creatures, Virgin Suicides ou encore Pauline à la plage, c'est-à-dire des films sur la découverte de l'amour et de la sexualité par les jeunes filles. Loin de proposer un manifeste sur la prostitution, de la glorifier ou la mettre en cause, Ozon met en scène la sensualité d'Isabelle (Marine Vatch) et interroge l'effet qu'elle produit sur son entourage. Au vu des ressemblances thématiques évidentes, le parallèle avec l'adaptation de Lolita de Stanley Kubrick est à la fois intéressant et inévitable. Lolita et Isabelle ont le même âge – à deux époques différentes cependant -, sont d'une beauté soulignée par le dialogue et l'image. Leurs entourages ont leur parenté également : père absent, une mère mal comprise et avec qui la relation mêle amour et jalousie.

Pourquoi alors cette séduction permanente, ce jeu, cette offrande du corps ? Libre au spectateur de construire ses hypothèses, puisque les raisons ne sont jamais claire. Est-ce l'ennui, ou l'envie de mettre à l'épreuve un corps désiré ? Dans les deux cas, la situation finale n'a pas d'incidence sur le mystère : Lolita est mariée est enceinte, Isabelle retourne à des amourettes de lycée, et le poids du passé, si présent dans l'esprit du spectateur, est absent à l'écran. Les cinéastes restent tous deux allusifs, préférant aux raisons les conséquences. Il faut voir les jeunes filles comme « révélatrices du monde adulte » : Lolita se voit interdite de participer à une soirée, tandis que les Farllow parlent d'échangisme sans complexe. Chez Ozon, la mère est ravie de voir sa fille se rendre à une fête entre lycéens, mettant en lumière l'absurdité d'une société qui permet et encourage certains types d'excès – comme la boisson – et en interdit d'autres.

Et si elles sont révélatrices, c'est bien parce que le motif du regard orne les deux œuvres ; Le petit frère d'Isabelle, enfant et voyeur qui observe sa sœur avec des jumelles est l'existant dans le cadre du spectateur, comme l'explique Ozon dans l'Avant Scène Cinéma de septembre 2013. Il est relégué au rang d'observateur distant, incapable de percer le mystère. Le regard extérieur a cette force destructrice de jugement, d'étiquette, de classement ; Ozon construit donc son film sur plusieurs subjectivités allant vers une objectivité dans la nature d'objet sexuel d'Isabelle, c'est-à-dire dénuée de tout jugement. C'est une étude sur quatre saisons d'un comportement, sans conclusions aucune.

Chez Kubrick, Lolita est regardée à travers la subjectivité d'Humbert, qui essaye de posséder cette vision, de garder Lolita pour lui seul. La jeune fille est aimée pour l'image qu'elle renvoie et non pour ce qu'elle est vraiment : «J'étais tombé sous le charme de Lolita pour toujours ; mais je savais qu'elle ne serait pas pour toujours Lolita ». Dans le film, l'obsession dont Lolita sera l'objet est préfigurée par une ellipse spatiale qui l'introduit et l'impose à l'esprit d'Humbert et à celui du spectateur. La principale différence entre les deux films, c'est justement le positionnement de ce regard : le spectateur accompagne Humbert tandis qu'Isabelle échappe à tous les regards qui tentent de la posséder.


Deux peintures, deux époques, deux découvertes du pouvoir de la séduction par des jeunes filles ; le sujet mérite la réflexion et fait toujours parler : Lolita a dû se jouer de la censure, et bien des décennies après Jeune et Jolie a eu droit à son petit scandale, prouvant bien que ce sujet a encore de quoi délier les langues.

Ecrit par Louisa Fourage.

mardi 4 mars 2014

Cate Blanchett : la vieille de Titanic oscarisée pour Osage County

« Et donc t'as vu les Oscars ? »
« Non... y a Gravity qui a eu plein de trucs là j'ai vu »
« Olala mais c'est NUL. »
« Ah ouais ? »
« Ah mais vraiment, mais ce film était tellement nul ! A un moment y a une scène, ou jsais pas, elle pense à sa fille, et elle se dit qu'elle va revenir, mais putain »
« Ah ouais elle est toute seule et tout »
« Ouais... et puis y a pas de jolis paysages pour t'occuper ou rien. C'est dans l'espace ! »
« C'est chiant genre, y a des Oscars, et t'as un film qui récupère tout. »
« Ouais »
« Genre là, y a eu le truc des esclaves là, qui a eu plein de trucs »
« et le meilleur acteur c'est qui ? »
« Matthew... »
« Ah oui, Matthew Mac... Conagay ? Je crois »
« Oui c'est ça. Je sais pas comment ça se prononce »
« Ouais lui il a plein d'Oscars donc ? »
« Non non, juste le meilleur acteur, pour American Bluff je crois. »
« Ah ouais »
« Mais t'as vu sur Canal + y a Happiness Therapy qui va passer, c'était bien ça. »
« ça me fait un peu bader les trucs comme ça, Happiness Therapy »
« Ouais. Mais j'adore Jennifer Lawrence. »
« Ah ouais ! Moi aussi. Oh et puis Léo là, il a toujours pas eu d'Oscar. On voyait sa tête toute triste... »
« Il était nominé pour quoi ? »
« Je sais plus... y avait Django ! Mais ça c'était l'an dernier ? »
« ah ouais Léo était dans Django ?»
« Oui oui il jouait dedans. Et je l'ai vu dans Le Loup de Wall Street aussi, et franchement, il était trop bien dans ça aussi.»
« Et y a Cate Blanchett qui a gagné aussi »
« c'est qui Cate Blanchett ? »
« la blonde là. Un peu vieille. Je l'aime pas, sa tête me revient pas. »
« elle a joué dans quoi ? Le nom me dit quelque chose. »
« Ben là l'oscar c'est pour un été à Osage County »
« c'est pas la meuf qui a joué dans Titanic? »
« Non... je sais pas, je crois pas. Elle a une sale gueule, je l'aime pas du tout ».
[...]
« Et sinon tu as vu tous les Harry Potter ? Moi j'ai pas vu la dernier. »
« Nan c'est vrai ? Tu t'es arrêtée en plein milieu du 7 en deux parties, ou avant ? »
« Non non, avant, au 6 »
« Ah ben en plus quand tu vois le 6, t'as pas envie de t'arrêter là... »
[...]
« Tu regardes Game of Thrones aussi ? »
« oh, non mais on m'en a parlé de ça »
« c'est bien fait franchement. Au début je me suis dit, un truc de moyen âge, ça va vite me gaver, mais en fait non. Et y a Homeland sinon »
« Ouais, j'ai entendu parler de ça mais j'ai peur que ça soit trop cliché série de flics américaine, genre on est des flics et tout et là... »
« et y a The Walking Dead aussi »
« Ah oui. Moi jsuis un peu une ptite nature, donc the Walking dead, non.... »
« Ah ben regarde pas. Mais regarde Game of Thrones par contre »
[...]
« y a juste Lila dans Dexter que j'aimais pas, parce que je la trouvais trop moche »
« Hmm... Mais les nouvelles séries j'accroche pas trop »
« ouais moi non plus. J'ai vu une série, ça fait genre beauf américain »
« c'était quoi? »
« Je sais plus... avec la fille de Smallville là. »
« Ah, celle qui jouait dans Desperate Housewives ? Heuu Teri Hatcher ? »

    J'ai entendu cette conversation aujourd'hui, dont je présente quelques extraits, entre deux personnes dans une salle de classe, à l'université. Pour une personne qui s'intéresse de près au cinéma et au monde de la télévision, il y a de quoi frémir, ou rire à l'éclat. Matthew McConaughey qui se retrouve dans American Bluff, Cate Blanchett qui se confond avec Meryl Streep, et avec Kate Winslet qui plus est, on se croirait dans un mauvais sketch. Mais pourtant, une fois la moquerie passée, ce stade bas, un peu méchant mais délicieux auquel j'ai cédé sur l'instant, une réflexion s'installe. Ou plutôt, plusieurs réflexions.
    Tout d'abord, quel intérêt ont les noms des acteurs et leurs carrières au regard de l'appréciation d'un film ? Si certains comme moi, vont trouver passion et joie à parcourir les biographies des grands personnages du cinéma, devant et derrière la caméra, et suivre avec attention les cérémonies et les films primés chaque année, ai-je le droit de m'attendre à ce que chaque personne maîtrise le sujet au moins un minimum ? On ne parle pas ici, après tout, de quelque chose d'important. Confondre Cate Blanchett et Meryl Streep, ça n'a rien voir avec confondre Abraham Lincoln et George Washington par exemple. Enfin, toujours est-il que sur le moment, c'est très, très drôle. On s'amuse très vite à imaginer Cate Blanchett remplacer Meryl Streep dans tous ses films, et Matthew McConaghey remplacer Christian Bale dans Batman.
     En revanche, d'autres éléments de cette conversation révèlent deux choses sur notre culture du moment :
La première, c'est que nous sommes dans une culture où la critique est facile car omniprésente. Ainsi, si cette personne n'a pas apprécié Gravity, c'est automatiquement un film "NUL", et il ne mérite aucun des Oscars qu'il a reçu - même si, au passage, le film a surtout été récompensé pour des dimensions techniques qui sont avant tout comprises et reconnues par les votants, c'est-à-dire les techniciens du cinéma eux-mêmes. Et toute raison est bonne pour la critique : le délit de sale gueule aussi, apparemment. Ainsi, tel personnage de Dexter se retrouve donc détesté pour des raisons physiques. Est-ce réellement surprenant, quand on connaît les réactions de l'Internet aux castings de Gal Gadot ("elle est toute maigre elle sera nulle") en Wonder Woman et de Adam Driver dans Star Wars ("ce mec est trop moche je refuse de le voir dans un film"). Qui'est-ce qui nous donne ce droit critique, et pourquoi en abusons-nous ainsi ? Est-ce si compliqué de faire des remarques constructives plutôt que de transformer une expérience personnelle en vérité générale ?
     La deuxième est plus importante : il s'agit de ce qu'en tant que spectateur nous jugeons supportables à l'écran. Ici, en se basant sur cette conversation, on peut donc considérer que Game of Thrones et Le Loup de Wall Street, sont plus "faciles à regarder" que The Walking Dead. Ce qui voudrait dire qu'une série comportant des images violentes, où des hommes se battent à coups d'armes à feu et de couteau contre des morts-vivants et entre eux, serait plus difficile à regarder. C'est cette observation qui me fascine et m'effraie le plus dans cette conversation : le film de Scorsese et la série HBO sont selon moi bien plus durs à voir qu'une simple série avec des méchants zombies. Dans Game of Thrones, nous avons des implications émotionnelles et politiques, des jeux pervers avec la confiance du spectateur en la structure classique des récits, et dans Le Loup de Wall Street, outre les valeurs morales absolument infectes du personnage - basé sur une vraie personne - est absolument saturé de scènes d'orgies outrancières et autres horreurs qui feront rire certains, et mettrons d'autres dans un malaise justifié.
    Voilà ce que je tire de cette conversation, dont il est facile de se moquer, mais qui soulève des questions auxquelles il est important de réfléchir, quant à notre rapport personnel à la culture.