jeudi 9 avril 2015

Fast and Furious 7 : Faste et Futile.

En sortant du cinéma, une question me taraude l'esprit. Ou plutôt, une question me roule dessus avec les chenilles en adamantium d'un tank nucléaire : mais POURQUOI est-ce que j'ai voulu voir ce film ? C'est le septième volet de la "saga", et depuis le tout premier je n'en ai apprécié AUCUN depuis le numéro 2... Alors pourquoi diable et diablotins ai-je voulu voir Furious 7 ? Parce que comme toujours depuis que le quatrième volet est sorti, je me suis laissé séduire par tous les nerds qui parlent du film comme un divertissement pur, absolument jouissif... Dan de The Nerdist a même été jusqu'à dire qu'il pourrait être le film de super-héros de l'année. Oui parce que depuis le 4 c'est des super-héros les mecs, oui oui, ils sautent de voitures sur la route à 150 km/h, se prennent des balles dans toutes les côtes sans grincer des dents, et se battent même contre des méchants britanniques (l'Angleterre, fournisseur officiel de méchant à accent à succès depuis 15 ans).


Seulement voilà, pendant que tout le monde s'extasie, je le crie haut et fort : ces films, c'est de la grosse merde. Comme ça c'est dit, je l'assume et tout le monde est content. Allez je vais même aller plus loin dans la provocation, mais le fait est que je le pense tout à fait : je préfère cent fois voir un film de Michael Bay que ça. Et vous savez pourquoi ? Parce qu'au moins les acteurs sont bons dans leur style chez Monsieur explosion-nichons. Michael Bay sait diriger une forme de surjeu qui sied si bien à son style, et la majorité de ses œuvres ont beau être criblés de défauts telle une voiture criblée de balles, elles fonctionnent tout de mêmes, telles les voitures criblées de balles de Fast and Furious. Justin Lin, et désormais James Wan, n'ont pas cette maîtrise, et en même temps vu la pauvreté affligeante des répliques à deux crottes de moineaux que balancent les costauds pendant tout le film, c'est difficile d'en tirer quelque chose... mais pas tant que ça ! Elles suintent tellement le script badass écrit par un gosse de 14 ans que pour s'en dépêtrer il faudrait essayer de varier le ton un peu, jouer sur l'autodérision. Dans le film, tout comme dans les trois précédents, il n'y a que deux manières de s'exprimer : en voulant être drôle mais sans aucun sens du rythme comique ou de l'intonation, ou en voulant être un gros dur et donc en s'exprimant lentement et avec emphase pour bien appuyer chaque mot stupide que l'on dit. Non, franchement si je vous dis que le meilleur acteur de Furious 7, c'est Kurt Russel, est-ce que ça vous donne envie de le voir... ?


Et ça n'a pas toujours été le cas. Pendant que tout le monde s'extasie sur une saga d'action qui est devenue du Mission Impossible bas de gamme, avec une grosse touche d'Expendables sans second degré aucun, tout le monde a l'air d'oublier qu'autrefois, en des temps révolus, il existait un film nommé The Fast and The Furious, et qu'il était bien. Qu'il avait été assez malin pour transposer dans un monde alors inconnu au cinéma (les courses de voitures illégales) une histoire que tout le monde connaît : le gentil héros infiltre un monde nouveau, se fait passer pour l'un des leur, découvre qu'en fait il s'y plait bien et ne sait pas comment ne pas les trahir. Ajoutez à ça un soupçon de "en fait c'est pas des gros méchants" à la Le Dernier Roi d'Ecosse avec évidemment le passage de la désillusion jusqu'à l'affrontement final et on obtient... Point Break mais avec des voitures. C'était un bon film de genre, le scénario tenait la route (haha), ça suintait l'amour des bagnoles, les acteurs se donnaient à fond et ça faisait rêver les gosses.

Hop on prend une prolepse inter-dimensionnelle et on arrive en 2015 ; Fast and Furious ne parle plus de voiture, mais d'une bande de potes surhumains qui aident des agences secrètes à lutter contre des criminels... en conduisant des caisses. Histoire de rester un minimum raccord avec la passion originelle des personnages... mais vraiment un minimum hein. D'ailleurs ce n'est pas pour rien que le film s'appelle Furious 7 en VO : clairement la franchise a changé d'orientation et rentre dans le moule des blockbusters tout calibrés tout lisses tout beaux tout propres, plutôt que de garder son originalité d'antan. Et pourquoi pas, vu que ça marche ?


Alors voilà, je déteste ces films, mais vu que tout le monde ne cesse de les encenser (allez juste pour vous faire partager ma douleur : le dernier film est actuellement à 8,1/10 sur IMBD, ce qui le place au dessus de, en vrac : Twelve Monkeys, Terminator, Les Dents de La mer, Monstres et Compagnie, Rocky, Barry Lyndon, Jurassic Park, Kingsman, La Belle et la Bête...), je me fais avoir. Et je pourrais m'arrêter là et dire que je déteste ces films, sans aller plus loin et passer à autre chose, mais non, parce que leur succès me dérange. Parce qu'un film transmet une vision du monde, des conceptions plus ou moins maîtrisées/conscientes, et que ce qu'émet un film comme Furious 7 me débecte au plus haut point. Le scénario débile et incohérent passe encore, mais ça... non.


Parce qu'au fond, qui va voir ce film ? Pas besoin de poser la question, je connais déjà la réponse, son public je le vois tous les jours. Ce sont des jeunes garçons, qui veulent voir des mecs trop classes conduire des grosses bagnoles et se taper des belles meufs, et c'est exactement ce qu'ils voient... et quel mal à cela ? Peut-être aucun, mais il y a réellement quelque chose qui me retourne l'estomac là-dedans. Car ces rebelles qui plaisent tant aux spectateurs, ce ne sont finalement que des fantasmes républicains (au sens du parti républicain américain, pas d'autre chose hein...) : des vigilantes qui sont plus forts que le gouvernement et la police, qui obéissent à leurs propres codes et valeurs morales, qui tiennent avant toute chose à la famille dans son système le plus patriarcal ... et puis bien sûr il y a les voitures. L'automobile, le symbole de la puissance américaine, celle de la grande et belle ville de Détroit ! Heu, enfin, vous me comprenez.


Et franchement, si ça en restait là, sans enfoncer le clou moi jveux bien ! Mais quand tu as des scènes où la femme de Paul Walker (enfin, Brian machin truc) dit à son frère (Vin Diesel, Toretto) qu'elle est de nouveau enceinte mais n'ose pas le dire à son mari parce qu'elle a peur de l'enfermer dans la vie de couple alors qu'il a ses potes avec qui il peut boire des bières et conduire des voitures... jsuis désolé mais ça fait un peu le fantasme du mec marié qui veut sa femme lui lâche la grappe quoi. Pour qu'il puisse aller mater des femmes objets qui se pavane... sans déconner, je reviens sur Michael Bay un instant, mais même lui n'y va pas aussi fort. On a quand même Nathalie Emmanuel qui dans le film joue une génie de l'informatique qui a mis en place un programme de renseignement similaire à ceux de la NSA (regardez Citizen Four), et qui n'a même pas droit à un minimum de character development, non non non à la place on va faire un plan au ralenti d'elle en maillot de bain à la plage. Et ouiii bien sûr elle est absolument sublime, tout ceux qui ont vu la saison 4 de Game of Thrones sont déjà au courant,  mais je sais pas donnez-lui un peu plus que ça, surtout que c'est elle et Michelle Rodriguez qui sont les rôles féminins principaux, et ça reste assez pitoyables, alors je ne parle même pas de toutes les autres qui sont vraiment traitées comme des objets... et oui, quand c'est fait sans second degré et d'une certaine manière, moi ça me débecte. N'est pas Robert Rodriguez qui veut, voilà. Et bien sûr, comment ne pas m'attarder enfin sur ce fameux programme de renseignement dont je parlais un peu plus tôt : cela permet ici au film de transmettre l'idée qu'un tel système permet d'arrêter Ben Laden en quelques heures, et également d'envoyer une petite pique au gouvernement en mode "malheureusement le président ne veut pas l'utiliser". Alors newsflash mon coco du Tea Party, ton président est bien plus axé Patriot Act que tu ne sembles le comprendre, il utilise déjà des systèmes de la sorte, non ils ne sont pas UNIQUEMENT dangereux quand ils tombent entre de mauvaises mains (et mauvaises mains, c'est déjà un concept assez absurde), et surtout, NON ils ne permettent pas de trouver des criminels en trente secondes chrono. Sorry Furious 7, mais parfois la faim ne justifie pas les moyens et là c'est l'indigestion.


Vous notez comment cette dernière phrase est débile ? C'est toutes les répliques du film qui sont comme ça ! Toutes ! Toutes ! Bordel de merde.

Sinon, y a deux cascades plutôt gigantesques, et l'hommage à Paul Walker, à la fin du film, bien qu'extrêmement maladroit et un peu... mal venu, m'a tout de même ému. Voilà.

mardi 7 avril 2015

Cendrillon : l'authenticité de la tête aux souliers

Ha, Cendrillon. J'y suis allé en traînant les pieds et à reculons, car ni le concept ni la bande-annonce ne m'avait donner la moindre envie de voir cette adaptation live du célèbre conte. Et bien j'avais tort ! Tous les amis qui me l'ont recommandé avaient raison, c'est un beau film !


Un petit mot avant tout sur le court-métrage de Frozen/La Reine des Neiges qui précède le film : très mignon, sympatoche, mais sans enjeux. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que si qu'à chaque fois qu'Elsa éternue, elle créé une créature pensante, ça peut devenir très vite compliqué à gérer comme population... mais ce sont des considérations morales qui n'ont rien à faire dans un Disney. Malheureusement ? Heureusement ?


Déjà, il faut dire que le dessin animé de Cendrillon n'a jamais été mon préféré, ne serait-ce parce que j'ai toujours préféré quand il y avait un réel enjeu à la clé, et non une histoire très "minimaliste" comme celle-ci. Dans Pocahontas, une guerre oppose deux peuples, dans Le Roi Lion tout un royaume est menacé, les morts ne sont pas tragiques mais horribles car intentionnelles, sans parler de Mulan... et pourtant à côté de cela, j'ai tout de même toujours apprécié ceux dont l'histoire me fascinait moi, grâce à leurs qualités artistiques. Le Livre de la Jungle en premier lieu, mais aussi Bambi, la Belle au Bois Dormant et donc Cendrillon, sont des réussites qui font le firmament de ce qu'était Disney (oui, "était", parce que fuck l'animation 3D. Enfin, pas vraiment, mais fuck la disparition de l'animation 2D chez Disney).


Mais Kenneth Brannagh, que certains connaissent comme Gilderoy Lockhart, que beaucoup respectent pour ses adaptations de William Shakespeare (quatre au compteur, dont une merveilleuse adaptation d'Hamlet) et sa superbe retranscription du Frankenstein de Mary Shelley, est là. Et à partir d'un script extrêmement efficace, le réalisateur et acteur britannique offre la touche d'enchantement nécessaire à un film de la sorte. Lily James est superbe en Cendrillon (petit fuck-up des sous-titres : si la voix-off appelle Cendrillon "Ella", c'est parce que c'est le diminutif de Cinderella, mais en français les coco ça ne passe pas du tout...), et elle est surtout plus développée qu'à l'accoutumée. Elle est intelligente et a des valeurs claires, ses relations précoces avec sa mère (Hayley "Agent Carter" Atwell) et son père (Ben Chaplin) sont bien développées. Le prince, Richard "I am the most gorgeous man on the planet step aside bitches" Madden est aussi un réel personnage à part entière, qui reconnaît en Cendrillon des valeurs qu'il partage. Leur histoire d'amour est d'autant plus belle qu'elle est rendue, à l'image, totalement compréhensible et par extension touchante, notamment dans la manière dont les deux aimants se reconnaissent dans leur attachement à leurs pères.


Les personnages secondaires ne sont pas non plus en reste, et je ne mentionnerai que rapidement la génialitude du chef de la garde du palais, qui est globalement le BFF du prince Robb Stark Kit Harrington Kit, et la maîtrise sans faute de papa Skarsgård, pour me concentrer sur la belle-mère de Cendrillon. Interprété par Cate Blanchett, elle aussi se retrouve affublée d'une réelle personnalité et de raisons d'agir qui sont montrées à l'écran avec habileté par le montage. Après avoir perdu son premier mari, qu'elle aimait tendrement, il est clair qu'épouser un autre homme pour le devoir, homme qui a aucun moment n'a tenté de lui témoigner de l'affection ou de cesser de parler de sa défunte femme, avait de quoi la rendre amère. Sans parler de le perdre lui aussi...


Enchanteur est le mot qui résumerait le mieux cette adaptation de Cendrillon, et c'est un quasi sans faute (la séquence d'Helena Bonham Carter est un peu construite sur un faux rythme, mais c'est vraiment pour chercher la petite bête), ce qui permet de rappeler à tout le monde encore une fois que Kenneth Brannagh est un putain de metteur en scène et technicien qui maîtrise exactement ses propos et leurs formes. Au final, il est assez amusant de voir que le film est immensément supérieur à Maléfique, qui jouait la carte de l'originalité à tout prix en surfant sur la vague Wicked, et à l'interprétation filmique ratée d'Into The Woods, qui offrait pourtant une version intéressante de Cendrillon et du Prince. Quand on est bon, il n'est pas nécessaire d'aller chercher à être à tout prix original ; parvenir à être authentique et sincère est déjà bien assez difficile.

vendredi 3 avril 2015

Sea Fog (Les Clandestins) : Désirs et désespoirs noyés

Franchement, je ne connais rien au cinéma asiatique. Je pourrais faire semblant, et parler du génie des grands cinéastes japonais, d'Ozu à Kurosawa en passant par les gros malades comme Miike et Sono (Love Exposure, huh, je ne me remettrai jamais de ce film. Le film de 4h le plus court du monde), de l'inventivité du cinéma coréen avec Park-Chan Wook et Bong-Jon Hoo, du génie des films d'action hong-kongais et chinois de John Woo, des comédies de Jackie Chan et Stephen Chow... sauf que je n'ai vu que quelques films de tous ces gens, et que je suis loin de maîtriser le sujet. Donc clairement, je le dis, mes connaissances en cinéma asiatique sont très limitées.

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Alors pourquoi je suis allé voir Sea Fog, production coréenne sortie dans très peu de salles ce mercredi ? Parce que sur l'affiche, il y a écrit en gros BONG JON HOO. Et que ce mec a fait Snowpiercer. Et que Snowpiercer est gigantesque. Voici donc quelques mots sur le premier film de Sung-Bo Shim, le co-scénariste de Memories of Murder de Bong-Jon Hoo ; ce dernier signe le scénario de Sea Fog et profite de son succès international récent pour produire le long métrage et y associer son nom pour attirer un public. Et ça marche, sinon je ne l'aurais pas vu !

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Sea Fog raconte la tragédie maritime d'une petite bande de pêcheurs coréens, qui suite à de gros soucis financiers sont obligés d'assurer le passage de clandestins de la Chine à la Corée du sud. La première scène du film donne le ton tout de suite en confrontant le quotidien de l'équipage, tout plein de camaraderie et de bonne cuisine (détail inutile du film mais chouette quand on repère la cohérence du truc : le capitaine est un ancien chef), à une musique clairement déprimante. Les notes de piano servent de choeur antique, histoire de mettre tout le monde d'accord dès le début : nous sommes dans une tragédie, le happy ending peut aller se jeter à la mer tout de suite, personne ne lancera de bouée de sauvetage. Bon, peut-être pas totalement, mais le ton de la fin du film est à peu près aussi débattable que celui de Snowpiercer, dirons-nous.

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Et la comparaison n'est pas anodine ; si certaines critiques auraient préféré voir dans Sea Fog une représentation acerbe et virulente d'un réel problème de société (le film est d'ailleurs l'adaptation d'une pièce de théâtre elle-même inspirée d'une histoire vraie), Sung-Bo Shim n'en a que faire et se sert de la question des clandestins pour mettre en scène une œuvre bien plus proche de la passion et la grandeur d'un Shakespeare, que d'un Jean-Paul Sartre. On nous présente des archétypes : le capitaine, prêt à tout pour sauver son navire, les deux obsédés sexuels, le chef machiniste empathique, et le jeune premier qui découvre la réalité de la vie après ses études prestigieuses. Et dès que les clandestins (dont des femmes, wink wink) se déversent sur le bateau par tempête, tous les codes sont menacés ; le quotidien n'est plus, et c'est peu à peu l'horreur qui prend place. Les éléments et le destin se retrouvent confrontés à des personnages qui sont tous caractérisés avant tout par des désirs, profonds et inébranlables. Une fois que la la cible du désir est menacé, le personnage change pour parvenir à ses fins... classique, mais tellement efficace.

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Et plus l'horreur s'installe, plus le film gagne en puissance. Si pendant la première moitié de film, la mise en scène un peu hésitante de Sung-Bo Shim peut laisser sur sa faim - elle manque un peu de prise de distance pour donner la puissance allégorique que le film aurait pu atteindre -, dès lors que les catastrophes s'enchaînent et que les personnages se transforment en monstres malgré eux, trahissant pour certains la confiance du spectateur, le lyrisme s'installe et on se croirait en beau milieu d'un poème du pré-romantisme (ce qui n'est pas forcément lié à des histoires d'amour par ailleurs... y a-t-il un mot qui a plus mal vieilli que romantisme ?) gothique de Coleridge. Et c'est là que Sea Fog devient réellement jubilatoire ; pour faire simple, ça change des films catastrophes américains, qui ont trop souvent tendance à se terminer sur une note heureuse (une interprétation de cette obsession est faite par Robert McKee dans Story, et elle est tout à fait intéressante si jamais ça intéresse quelqu'un. Toi là-bas, avec ton bonnet sur la tête ? Vraiment ? Très bien, je vais te prêter mon exemplaire), ce qui a bien sûr son charme ; mais le renouveau, ça fait du bien par où ça passe. Par les yeux donc, et les oreilles.


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A bien des égards, l'élément le plus magnifique et terrifiant de Sea Fog est la transformation du capitaine, véritable Macbeth coréen, dont la chute libre s'oppose à l'émancipation et la révolte du jeune étudiant, qui lui s'apparente plus à un héros sorti tout droit d'une pièce de Corneille. C'est leur affrontement idéologique au sein de l'enfer des mers amères qui sublime la deuxième partie du film, et qui m'a fait dire que clairement, je devais mater plus de films asiatiques. Parce que ça déchire sa mer ! #finirsurunjeudemotpourri


Shaun Le Mouton : L'humour, douze fois par secondes.

Si un studio a marqué mon enfance plus que les autres, c'était certainement celui-là ; impossible de dire combien de fois j'ai vu les courts-métrages de Wallace et Gromit des studios Aardman, notamment celui où ils vont sur la lune pour chercher du fromage... Aardman Animations, c'est le gag visuel avant tout, ce qui m'attirait déjà enfant et qui m'émerveille aujourd'hui : être capable de raconter une histoire entière uniquement avec des images, c'est ce que je préfère au cinéma.
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Ainsi, Shaun Le Mouton raconte les aventures d'un ptit bestiau et de sa bande de laineux qui tentent de ramener leur fermier chez eux, suite à un accident débile, génial et barré, et ce sans une once de dialogue. Les personnages font des bruits (je rêve de voir une session de doublage avec un metteur en scène qui s'énerve sur le non respect des répliques) incompréhensibles, mais le ton, la musique et surtout les actions dans le montage suffisent à suivre ce qu'il se passe. Avec leur touche british pop - la bande-son est d'ailleurs très très très TRES anglaise -, les réalisateurs s'amusent à confronter les campagnards à la ville imposante, et un tant soi peu absurde à leurs yeux. D'un côté, la routine de la ferme, qui barbe les moutons mais qui leur manque très vite, et de l'autre l'aspect flottant, instantané et déroutant de la vie mondaine. Le film offre notamment une version des "five minutes of fame" assez poilante. Et le tout, sans parler, ben oui !


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C'est ça le cinéma ! A l'ancienne les cocos, comme Chaplin et Keaton, on est dans le burlesque ! Mais avec de la pâte à modeler. Enfin, presque. En vérité, ce sont des marionnettes en fil de fer pour l'ossature, puis avec plusieurs couches de jsais pas quoi, et enfin avec de la pâte à modeler. Avec aussi une cinquantaine d'expressions différentes pour chaque partie du visage, et hop on anime tout ça en stop-motion... tout en restant à des années-lumières de l'autre studio phare, Laïka, bien plus jeune (il a produit trois longs : Coraline, Paranorman et Les Boxtrolls). Le premier fait dans l'humour etl'enfantin guilleret, il accentue les effets comiques en projetant du 12 images par seconde et assume le look carton pâte ; le second mets les bouchées doubles et va rivaliser avec les grosses productions à coup d'imageries puissantes et d'émotions fortes. Les deux sont merveilleux, et c'est un réel bonheur de les voir sortir des films encore aujourd'hui, entre deux trois grosses productions Disney Dreamworks (RIP...) et autres.


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Shaun le Mouton est un excellent divertissement pour petits et grands, parsemé de bonnes idées qui font sourire tout le long du film. Il ne casse pas trois pattes à un canard, certes, mais c'est bien normal après tout, on n'a pas du tout envie de voir le canard se faire casser les pattes, c'est un film pour enfants ! Qui plus est, ce canard en question a droit au meilleur gag du film, alors on le laisse tranquille.

jeudi 2 avril 2015

Journal d'une femme de chambre : la parole vide de sens

Difficile d'arriver après Renoir et Buñuel. Journal d'une femme de chambre est un roman français d'Octave Mirbeau qui a fait beaucoup de bruit quand il est sorti, il y a 115 ans. Il donne la parole à une soubrette nommée Célestine, qui fait découvrir au lecteur par le biais de son quotidien et de ses souvenirs, les vices et les dessous de la bourgeoisie française. L'oeuvre a été adapté 4 fois au cinéma ; une fois en Russie en 1916, puis à Hollywood par Jean Renoir (mais oui mais oui. Jean Renoir a fait des films à Hollywood, et celui-ci est son meilleur), puis par Buñuel en France. Et maintenant Benoit Jacquot nous présente Léa Seydoux, qui succède à Jeanne Moreau, qui elle-même succédait Paulette Godard (la femme de Charlie Chaplin), sa Célestine à lui. En 1946, Jean Renoir avait fait de l'histoire de cette femme de chambre une fable sociale faisant écho au centenaire de la Révolution française, puis vingt ans plus tard Buñuel grossissait le trait sensuel et manipulateur du personnage ; qu'est-ce que Benoit Jacquot nous dit avec sa version ?


Rien du tout. Ou en tout cas, c'est le sentiment que j'ai eu en sortant du film. Une absence de communication complète, zéro catharsis, niet, que dalle. Bien sûr, le réalisateur a une approche et un style bien à lui d'un point de vue formel : les costumes et décors d'époque sont frappants parce que la caméra n'utilise aucun filtre. Pas de couleurs sépias en mode "youhou le passé", juste une image numérique très simple, avec même des plans en caméra épaule, c'est clair que ça surprend. Et puis il y a les zooms - et non travellings, ce qui laisse à penser que le budget du film ne devait pas être fantasque - qui envahisse chaque plan ou presque. Mais ce style personnel n'apporte rien du tout.


Benoit Jacquot a donc une réelle approche, personnelle, et il s'attaque à l'oeuvre de Mirbeau de front, en l'adaptant extrêmement fidèlement, avec analepses et occasionnels voix-off. Mais malgré cela, il n'y a rien à en tirer. On ressort sans avoir ressenti une quelconque prise de position vis à vis de ce qui est raconté, sans avoir trouvé un pied sur lequel danser... immense déception. Surtout qu'au vu des critiques, je suis un des seuls avec le journaliste des Cahiers à être resté de marbre face à cette adaptation. Dommage. Cela aura au moins été l'occasion de voir Léa Seydoux rayonner dans de superbes tenues, et Vincent Lindon jouer un homme à tout faire comme s'il était Mel Gibson dans Mad Max ; hé, ça marche. Il est tellement classe comme ça. Et une blague sur Mel Gibson se cache dans cette remarque, bonne chance pour la trouver !

Un Homme Idéal : la classe de Pierre Niney et le classicisme d'un thriller.

Soyons clairs tout de suite : Un Homme Idéal n'est pas un film parfait, il a ses défauts, mais je n'ai pas vraiment envie d'en parler. Je vais donc surtout vous parler de ses qualités, voilà.  Oui, comme ça j'entre dans le sujet direct, parfois jme dis allez, ne fais pas trois paragraphes introductifs avant de parler du film... Le film en question est un thriller français à la David Fincher, ou plutôt à la film noir américain des années 50 (qui ont eux même inspiré le cinéma français des années 60 par la suite, soit dit en passant...), et déjà, ça a le mérite d'être remarqué. Parce qu'en France, en dehors des films très indépendants (budgets de 2 millions, parfois 4 selon les subventions), le cinéma "de genre" se résume aujourd'hui, en schématisant grossièrement parce que de toute façon un schéma est toujours grossier, à la comédie et aux films policiers. Et on sait pourquoi : le cinéma français de cet acabit n'a pas de public. The Search de Michel Hazanavicius, Un Illustre Inconnu de Mathieu Delaporte en sont de très beaux et tristes exemples récents.


Un Homme Idéal, avec Pierre Niney-de-la-Comédie-Française-sans-déconner-ce-mec-est-une-version-plus-canon-de-Matt-Smith-et-Adrian-Brody-réunis dans le premier rôle, raconte le mensonge d'un jeune auteur raté qui vole les écrits d'un soldat ayant combattu pendant la guerre d'Algérie. En le faisant passer pour un roman de fiction, Matthieu Vasseur (je retiens rarement le nom des personnages dans un film, donc quand ça m'arrive je le montre, na) obtient les louanges du monde littéraire, de l'argent, et une meuf. Le thriller commence réellement lorsque tout cela menace - évidemment - de s'écrouler, suite à différentes menaces. Et la deuxième moitié du film est réellement haletante, il devient difficile de s'imaginer que le héros puisse s'en sortir d'une manière ou d'une autre ! Et ce n'est pas seulement cela ; même si la caractérisation du héros est assez vite expédiée dans les cinq premières minutes du film, on le prend rapidement en pitié. 


C'est tout de même l'histoire d'un médiocre que tout le monde adule pour une oeuvre qu'il n'a pas écrit, alors qu'il rêve d'être écrivain... là où son véritable talent est le mensonge et la mise en scène, comme on le découvre de manière macabre durant le film. La scène où il demande à sa copine de lire son vrai manuscrit, en le faisant passer pour un ouvrage que son éditeur lui a demandé de lire, est déchirante... sans parler de la conclusion du film. Oui oui, "sans parler", parce que je ne spoile pas sur ce blog. Un choix volontaire vous savez ? Autant que possible, j'aime que les gens aillent au cinéma, et si je peux donner envie à quelqu'un de voir un film, et bien je serai heureux tout simplement.


En tant que thriller, le film fait son boulot et est ultra-efficace : la mise en scène, le cadrage, les montages alternés... les acteurs surjouent et en font trop et s'amusent comme ça... sauf Pierre Niney, qui pour le coup (et ce sera ma seule critique émise dans cet article) joue le personnage avec beaucoup trop de sincérité et d'authenticité, ce qui dénote pas mal avec le surjeu des autres et les répliques mélodramatiques. Mais de toute façon, j'aime surtout Pierre Niney à la comédie (sa série Castings sur Canal, son rôle dans Un Chapeau de Paille d'Italie à la Comédie Française l'année dernière...). Bref, tout ça est extrêmement stylisé à la façon d'un film hollywoodien comme eux-mêmes n'en font plus vraiment, et quand on apprécie ce type de cinéma, c'est bien agréable de voir qu'un producteur chez nous a décidé de financer cela.

All About Eve : Cercle fermé.

Là je triche un peu, car ce film n'est pas réellement sorti en 2015 ; All About Eve est sorti il y a 65 ans... mais j'ai profité d'une rediffusion au cinéma à l'occasion de sa restauration numérique pour le découvrir. Et mazette. Fichtre. Grands dieux. Mille milliards de mille sabords. Saperlipopette.


65 ans, c'est un sacré retard pour crier au génie, et il est clair que le film ne m'a pas attendu pour faire parler de lui à la fois auprès du public de l'époque, des critiques et des cérémonies : meilleur film, meilleur scénario, meilleur réalisateur, meilleure actrice... tout ça de raflé aux Oscars, bim comme ça hop là jte mets la misère. Parlons donc un instant d'une oeuvre gigantesque, d'un réalisateur hors pair.


Réalisateur que je ne connaissais pas avant. De nom, bien sûr, parce que tout de même je lis beaucoup sur le cinéma, mais je n'avais rien vu de lui, ne savait rien de son style, de ses marottes. En rentrant du cinéma, une recherche rapide sur Wikipedia me confirme ce que j'avais déduit de son All About Eve : Joseph Leo Mankiewicz est un réalisateur avec une maîtrise de la mise en scène et de la direction d'acteurs absolument magistrale, et qui navigue aisément entre les nuances de ton - du tragique au comique - sans se casser la figure. Cette recherche Wikipedia me révèle d'ailleurs que j'avais déjà vu un film de Joseph auparavant : c'était Jules César, adapté de la pièce de Shakespeare, avec Marlon Brando dans le rôle de Marc-Antoine, que j'avais vu en cours de grec au collège... le film m'avait tellement marqué que j'avais rejoué massacré le discours de Marc-Antoine dans mon premier film. Donc, Joseph, comme on se retrouve !


All About Eve parle d'une actrice de théâtre grandiose (Bette Davis, elle-même grandiose) qui doit s'admettre à elle-même, et faire admettre à son dramaturge, qu'elle vieillit. L'histoire du film décrit sa rencontre et son déclin face à une nouvelle actrice, jeune, belle, innocente, modeste, modèle... trop innocente. Trop modeste. Trop modèle. Une lente chute et une ascension vertigineuse qui se croisent, voilà le cœur d'un film qui en a bien plus à dire. Au milieu de tout ça, on trouve une querelle Hollywood/Broadway qui 65 ans plus tard est encore bien fringante (hello Birdman), une représentation du monde de la critique d'art terriblement authentique, ainsi que des histoires sentimentales véritablement touchantes. On retiendra notamment le personnage du metteur en scène, qui a le côté cool de Humphrey Bogart et l'humour d'un Robert Downey Jr., un véritable régal.



Le film est magistral en lui-même. Manckiewicz a vraiment un truc pour diriger des acteurs et les diriger dans l'espace avec une cohérence et un ludisme jubilatoire ; et le film joue sur les tonalités, entre comique de situation, répliques tordantes et noirceur cynique, sans jamais se prendre les pieds dans le tapis, se fracasser la tête et se retrouver ridicule face à une très jolie femme qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Marylin Monroe. Sauf que c'est vraiment Marylin Monroe ! Elle joue un de ses premiers rôles au cinéma ici (elle apparaît dans deux séquences, brièvement), et déjà sa présence est incroyable. Et son typecasting en blonde écervelée... soupir.


Et heureusement qu'il y a de l'humour, et plusieurs trames romantiques aux fins - relativement - heureuses, car autrement le constat final du film serait totalement déprimant. C'est un portrait du succès dans sa nature éphémère qui nous parle d'autant plus aujourd'hui, à l'ère des fifteen minutes of fame prédites par Warhol. La fin du film ne pourrait pas être mieux réussie dans sa présentation d'un cercle sans fin qui rend toute tentative de réussite futile. Le temps ne s'arrête ni pour les désœuvrés ni pour les enchantés.

All About Eve n'est pas seulement un grand film, c'est également une oeuvre qui a inspiré d'autres monuments auxquels je n'ai pu m'empêcher de penser en le découvrant : dans l'ordre, Sunset Boulevard de Billy Wilder, sur une ancienne diva du cinéma muet qui croit encore à sa gloire, puis Opening Night de John Cassavettes, ou une actrice de théâtre (Gena motherfucking Rowlands) doit accepter son âge pour jouer un rôle (et les plans d'extérieurs du théâtre semblent être dans mes souvenirs exactement les mêmes que dans All About Eve), et bien sûr The King of Comedy de Martin Scorsese, et plus récemment Black Swan d'Aronofsky. Voilà donc une sacré de putain de liste, si je peux me permettre !

Il est donc temps de mater d'autres films de ce Joseph L. Manckiewicz. Hop là.