mardi 25 février 2014

Snowpiercer : Publicité Mensongère

Il est facile d’oublier – et surtout en France, à cause du culte parfois poison, parfois génial de l’auteur -, qu’un film est un produit créé puis distribué par de très nombreuses personnes et groupes aux intentions sensiblement différentes. Observons deux groupes sensiblement opposés qui sont forcés à travailler ensemble : d’un côté, les scénaristes, réalisateurs, acteurs et tous les techniciens qui œuvrent ensemble pour donner forme à une histoire et à son esthétique. De l’autre, les producteurs et distributeurs qui rendent tout film possible, et qui permettent sa diffusion, dont le but premier est commercial : il s’agit de générer des profits.
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John Goodman en producteur impitoyable dans The Artist
La beauté du septième art, c’est que les deux se profitent l’un à l’autre : les créateurs ont besoin des producteurs pour réaliser leurs visions, et les producteurs ont besoin des créateurs pour gagner de l’argent. Une beauté qui cache sa plus terrible Bête, celle des lois du marché et de leurs contraintes : la nécessité d’avoir un acteur en vogue dans le premier rôle, une fin heureuse, une structure en trois actes bien dosée, un plot couleur outrageusement orange et bleu, etc. Et quand un film sort de la norme, certains producteurs et distributeurs sont inquiets, et à juste titre : les films qui marchent le mieux au box office sont le plus souvent les plus classiques. Ils ont alors une batterie d’outils à disposition pour mentir et filtrer l’image du film, notamment les bande-annonces, délicieux outils de mensonges et d’excitations.
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Snowpiercer est présenté comme un blockbuster pur et dur par sa bande-annonce. Dans un futur dystopique où l’humanité survit dans un train en mouvement perpétuel, des riches méchants vêtus comme les habitants du Capitole de The Hunger Games oppressent des pauvres sans défense, qui se rebellent contre l’ordre établi. Ces trois minutes d’images promettent des grandes scènes d’actions, un héros charismatique en la personne de Chris Evans (actuel Captain America, modèle de l’héroïsme par excellence), et la satisfaction de voir des gentils se venger des vilains richous.
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Ce que la bande-annonce ne met pas en valeur, c’est l’œuvre qui a inspiré le film – la bande-dessinée française le Transperceneige – qui logiquement de par sa nature ne subit pas les contraintes du monde des blockbusters internationaux, et surtout le nom du réalisateur, Bong-Joon Ho, cinéaste coréen très respecté et réputé (notamment pour Mother et Memories of Murder).
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Ainsi, le spectateur lambda qui voudra se divertir et s’alléger l’esprit en allant voir Snowpiercer aura subi un des mensonges les plus délectables : on lui aura promis un film basique mais divertissant, il se retrouve en réalité face à une perle de cinéma de science-fiction ; un film noir et cynique bien plus proche de1984 que de la Ferme des Animaux, aux héros meurtriers, drogués et traîtres, avec des séquences affreuses à souhait (Le wagon-école, à vous glacer le sang), et une conclusion des plus amères. Ce qui n’empêche pas Snowpiercer d’être également un très bon film d’action avec des séquences spectaculaires : la scène du tunnel restera certainement dans les esprits de beaucoup de spectateurs. On reconnaît d’ailleurs le talent de Bong-Joon Ho dans sa maîtrise de la tension et de l’attente qui précèdent et entourent les affrontements.
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Snowpiercer surprend justement parce qu’il associe action et réflexion avec brio ; pourtant la qualité du film n’est pas vraiment la considération principale des distributeurs, comme le prouve Harvey Weinstein qui a décidé de couper vingt minutes du film à sa sortie sur le sol américain. De quoi enlever au film toute sa saveur, mais selon les communiqués de presse officielle, certains Etats seraient trop bêtes pour saisir le film. On n’a rarement eu une aussi bonne occasion de dire : “arrêtez de prendre les gens pour des cons”.
Chez nous en France, le film est monté comme le voulait le réalisateur, et il est excellent, alors ne le manquez pas !
Auteur : Renaud J. Besse

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