lundi 30 mars 2015

In The Crosswind : Les murmures du temps

A la fin de la séance, deux femmes âgées - qui ont passé le début de la séance pendant les pubs à parler du petit fils d'une d'entre elles qui avaient des ennuis avec un producteur chez ARTE - résument le film ainsi "c'était un peu comme Ida, et un peu niais aussi, comme Ida".


Alors oui, en effet, ce sont des films qui ont beaucoup de points communs : ils sont tous deux en noir et blanc, et ont une femme comme personnage principal. Voilà. Ah ouais ça fait beaucoup hein ? Et non, je ne compte pas "Europe de l'est" comme un point commun parce que franchement Estonie et Pologne c'est pas franchement la même tambouille... Qui plus est, Ida était tout sauf niais. Voyez-le d'ailleurs. Il est sur Netflix, il dure genre 1h15, hop là et c'est fait. En revanche, Crosswind, ou In The Crosswind comme c'est écrit dans le film (ou Ristuules, en estonien, because why not), lui, a quelque chose de niais. Mais dans le bon sens du terme. Donc en fait, il n'est pas niais. Hé, même Cicéron serait jaloux de ma rhétorique là ! Le terme exact serait "innocent".


Le film raconte l'histoire d'une femme et sa fille qui, en 1941, a été envoyée dans un "camp" (c'est une sorte de village en fait) en Sibérie, sous les ordres des Russes qui souhaitaient purger le territoire de ses natifs. Enlevée à son mari, elle lui écrit alors des lettres pendant quinze ans décrivant sa vie. Martti Helde s'est inspirée de vraies lettres pour traiter ce sujet - qui le tient à cœur, puisque son père a lui-même été déporté en Sibérie. Le film raconte le courage de cette femme et sa capacité à rester forte, malgré le fait que sa vie pue comme les maillots du placard de ton club de basket. Donc, c'est assez dur à voir comme film, ça c'est clair. Je mentirais si je disais que je n'étais pas sorti les yeux embués comme une sale petite mauviette.


Mais bien plus que l'histoire, c'est la manière dont elle est racontée qui mérite le coup d’œil. In The Crosswind est composée de trois éléments distincts dont la convergence crée une beauté singulière et parfois renversante ; tout d'abord il y a les lettres lues. Ce sont les seules paroles entendues dans le film, ce sont elles qui rythment l'histoire. Puis il y a l'image, qui - attention tour de force totalement dingue - pour la quasi totalité du film consiste en une série de plans séquences acrobatiques durant lesquels la caméra circule au milieu de foules gigantesques... toutes immobiles. Sept cent figurants, trois ans de tournages pendant trois étés et trois hivers, des rails et des grues à faire pâlir un tournage Marvel, quelques effets numériques sur l'image (notamment sur des jeux de relief à tomber par terre), et des acteurs... qui tentent de rester immobiles. Oui, pas d'effets de ce côté là, Helde utilise une technique que j'ai moi-même utilisé avec beaucoup moins d'habileté dans un court-métrage, ce qui fait que oui, on peut voir les acteurs bouger ici et là, mais cela ajoute son charme à l'image figée, un peu comme si même dans ses peintures en trois dimensions, le vent ne cessait de souffler et de faire vaciller les hommes, de se rappeler à eux. Et à cette immobilité s'ajoutent des sons accompagnant l'action qui n'est pas vu : sous nos yeux, le camion est fixe mais on entend les pneus, les pas dans la neige... c'est la combinaison de ces trois éléments qui donne son expression si particulière au film de Martti Helde.


Je pense que je vais devoir le répéter : ceci est un film estonien. Et ce qu'ils ont réalisé avec leurs caméras m'a bien plus bluffé que Birdman. La comparaison n'est pas anodine, car les deux se rencontrent dans leur traitement de l'ellipse à l'intérieur du plan séquence, cependant dans In The Crosswind on trouve un côté plus percutant car encore plus didactique. Non pas au sens thématique, mais au sens de l'image : il est impossible d'échapper au parcours effectué par la caméra, et les jeux de hors champ qui devient soudain cadre atteignent des sommets dans les émotions qu'ils procurent.


L'idée est assez claire : dès que l'héroïne est déportée, dès que l'armée arrive, le temps s'arrête, il n'est plus le même. Il n'existe que par ces souvenirs qu'elle tente d'inscrire dans ses lettres, mais il est vidé de son énergie. Cette pauvre femme ne conserve de la vie que des murmures, des bruissements du passé et des instants de temps volé, mais tout le reste a disparu. Et c'est là que j'aurais des légers reproches à faire ; le message est clair, mais certains passages des lettres viennent faire écho à cela de manière un peu pompeuse. C'est en cela que le film pourra être perçu par niais et non innocent par certains, à mon sens. Toujours est-il qu'il s'agit d'une prouesse technique remarquable, au service d'une histoire touchante et aux dimensions décuplées par une bande-son absolument magistrale. Le compositeur partage la moitié de son nom avec Arvo Pärt, et également une part de son talent parce que mazette, c'était franchement chanmé sa brebis galeuse.


In The Crosswind est un film inattendu, remarquable et touchant dans tout ce qu'il entreprend. Il ose et si j'avais Alzheimer, il m'aurait rappelé pourquoi j'aime le cinéma. Un peu bizarre comme dernière phrase pour un article mais bon, je vous ai habitué à pire je pense. Un peu plus haut j'ai dit "chanmé sa brebis galeuse" par exemple.

vendredi 27 mars 2015

Hacker (Blackhat) : les années 90 en 2015, ou le grand écart de Michael Mann

Cela faisait neuf ans que Michael Mann n'avait pas sorti un film au cinéma ! neuf ans, c'est long. The Last of the Mohicans, Heat, Collateral, Miami Vice... tout ça c'est loin, et chez les jeunes cinéphiles, on ne peut pas dire que Mann soit très connu. La preuve, je viens de dire qu'il n'avait pas sorti un film depuis 2006, alors qu'en réalité il a réalisé Public Enemies en 2009, et personne ne s'en est rendu compte. Bon j'avoue, je l'ai surtout sauté parce que premièrement c'est un très mauvais film, et deuxièmement il n'avait absolument rien de ce qui fait de Mann un réalisateur tant apprécié, aux côtés des John Woo, De Palma et autres John McTiernan... une belle bande d'artistes inventifs qui ont su donner ses lettres de noblesse au film d'action, ajouter une touche de poésie et de style aux explosions sanguinaires.

Michael Mann, c'est un réalisateur qui pour dire les choses clairement, n'en a rien à foutre. Son style mélange une poétisation de l'action de par l'attente tendue et la musique entraînante (et une exploitation des compositeurs à la Terrence Malick totalement anti-professionnelle, mais c'est un tout autre sujet) avec une technique caméra typée documentaire. Depuis qu'il le peut, Mann filme avec des caméras numériques très maniables et portatives, de façon à faire les choses vite et bien... enfin, "bien", ne nous emballons pas. Car si dans Collision cela passe tout à fait du fait du cadre de l'action, ici on est dans du rocambolesque à la James Bond, ce qui veut dire globalement, en gros, en résumé, voilà, Blackhat (Hacker) est filmé avec les pieds. Et je suis quasi certain que c'est littéral, parce que vu comment la caméra remue sans aucune raison pendant la quasi totalité du film, soit le cadreur tenait effectivement l'engin par les pieds, soit c'était Michael J. Fox. #mauvaisgoût
 

Donc, un côté documentaire, qui va avec une obsession du contre-rythme, filmer un peu le vrai de l'histoire... un exemple ? Mais oui mon Jordi ! A un moment, les deux-héros du film inspectent une station et l'un dit à l'autre "ha ! Mais oui, j'ai tout compris, en fait..." et l'autre lui dit "heu mais y a trop de bruit là-dedans on entend rien", alors les deux ressortent et finissent la conversation à l'extérieur. Voilà, c'est assez surprenant mais Mann s'attache beaucoup à un rythme inhabituel du déroulement de l'action, et pourtant à côté de ça dans ses thématiques et ses schémas narratifs, il reste ultra mega giga old school, avec des héros durs comme les équations différentielles du second degré, des femmes belles et fortes comme ces gens qui savent résoudre des équations différentielles du second degré, des méchants cruels et terrifiants car détachés, des retournements de situations inattendus, un affrontement final épique... bref, entre le style de John Woo et la captation documentaire, Michael Mann est un sacré spécialiste du grand écart.


Mais de quoi ça parle ? Et ben du calme le Jambon de Parme, je vais te le dire ! Blackhat (Hacker) raconte comment le FBI engage un hacker criminel pour arrêter un méchant hacker qui a fait pété une centrale au Japon. Et évidemment, le hacker criminel héroïque, c'est un putain de bodybuilder (coucou Chris Hemsworthy of Mjölnir), il se tape la belle fille et a tout pour plaire. Parce que comme je l'ai dit plus tôt, Michael Mann n'en a rien à péter. Alors il fait des films d'action aux codes totalement explosés comme dans les 90s, et c'est tant mieux pour lui et pour nous, parce que sans déconner le réalisme noir à toutes les sauces, au bout d'un moment c'est chiant hein. C'comme Chris Columbus là, qui se croit encore dans les 80s et qui nous sort un film sur une team de geek qui doivent arrêter une invasion extra-terrestre de Pac-Man et Donkey-Kong dans Pixels... c'est le retour du fun au cinéma ! Et c'est surtout dans son traitement de son sujet (la technologie, l'informatique, les hackers) que Blackhat transpire la fin du 20ème siècle : les écrans noirs à texte vert façon Matrix, les séquences animées des circuits qui transmettent l'information, les vieux bruitages et animations ridicules sur l'écran à chaque clic... on nage en plein délire, et c'est l'éclate.

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Et donc on a tout : les trahisons, les retournements de situation, les fusillades extrêmement violentes... et c'est là que le faux rythme de Mann devient fascinant, car les codes classiques sont brouillés par la lenteur de l'avancée de l'histoire, ce qui ramène l'élément de surprise qui a quelque peu disparu du cinéma blockbuster actuel (ah, le sacrifice du héros qui ne meurt pas vraiment. Je te hais tellement). Et fascinant encore car il fait d'autant plus ressortir les moments de confrontation épiques, notamment la rencontre entre le gentil hacker et le méchant hacker dans une parade en Malaisie. Cependant... la technique "documentaire" est tellement foutraque dans le film qu'elle va indéniablement sortir les spectateurs du film. Et vas-y que ça bouge dans tout le sens, que le montage audio ressemble à un morceau d'Igorrr avec des volumes qui baissent sans raison puis remonte sur le plan d'après, et que les 29 images par seconde te donnent mal à la tête quand toi petit cinéaste tu es habitué à ton confort des 24 images par seconde, bien plus naturel... le film a vraiment de quoi déplaire, à cause de sa technique, et aussi de ce faux rythme qui en fait du coup une oeuvre extrêmement lente, ce qui passait comme une lettre à la poste à l'époque de Collateral et qui maintenant fait tiquer dans le spectre cinématographique actuel.


Le souci de Michael Mann est le même que beaucoup d'autres réalisateurs extrêmement appréciés en France, comme les Wachowski, comme Coppola ou surtout Terry Gilliam : ce sont des artistes avec des tas d'idées en tête, des images merveilleuses à transmettre, mais qui sont tous incapables de se conformer à certains aspects de l'industrie du cinéma populaire, et ce chacun à sa manière. On l'oublie facilement mais c'est un métier qui comporte des parties techniques et des parties économiques qui sont tristement indispensables dans un cinéma aussi codifié, c'est-à-dire attendu. Quand les Wachowski et Terry Gilliam font perdre de l'argent aux studios à cause de leurs coûts de production et délais non respectés, quand Mann comme Malick avant lui manipule les images et tente de sauver le film au montage, il entre dans une dimension de l'incertitude qui fait enrager les producteurs, et peut à la fois donner un résultat catastrophique, ou - la plus belle chose qui existe au cinéma à mes yeux -, un heureux accident. C'est chez ces réalisateurs que l'on découvre, ici et là, des instants de grâce. Et le succès d'artistes aussi atypiques chez le public français s'explique peut-être par notre héritage inconscient - ou conscient - de la Nouvelle Vague, qui s'est inspiré des polars et western pour renverser les codes du genre et envoyer la technique professionnelle trop cadrée se faire mettre.


Blackhat (Hacker) oscille entre le naufrage et ces moments de grâce si précieux; encore faut-il réussir à rester dans le film pour les percevoir...

samedi 21 mars 2015

X and Y : Des films du placard

L'autre jour, une amie (Louisa, qui a écrit pour ce blog plusieurs fois !) m'a envoyé une série de titre de film, tous sur le format "x and y", x et y étant forcément des choses que j'apprécie. Voici des pitchs de film formés à partir de ses propositions :

Women and alcohol

Un gang de divorcées américaines décide de se lancer dans la vente clandestine d'alcool pour les fêtes de lycéens façon Project X. Elles finissent par devenir des cougars et par pratiquer allègrement et régulièrement le détournement de mineur. A la fin du film, les quatre femmes finissent en prison, non pas pour leurs actes sexuels ni pour leur vente d'alcool, mais parce qu'elles ont été arrêtées par la police en possession de cannabis. Et on ne rigole pas avec ce genre de choses dans le Wyoming !


Women and Cinema

Une grand-mère du Turkménistan fabrique une caméra à l'aide des plans de son mari, un ingénieur de renom du pays honteusement peu connu et terriblement dictatorial voire dystopique. Avec sa petite fille, elle se met à filmer la vie de tous les jours du pays. Pour ne pas se faire attraper par le gouvernement totalitaire, elles envoient la caméra en secret à une cousine éloignée, qui filme des images puis la fait circuler à son tour. Dans tous le pays, des femmes filment, et envoient leurs bobines à la grand-mère. Un film est monté, un cri puissant face à l'autorité menaçante.


Women and Mushrooms

Un film à tiroir qui suit trois femmes à différents moments de leurs vies; le long-métrage orchestre leurs chemins croisés, tandis qu'une mathématicienne interrompt l'histoire ici et là façon Alain Resnais pour présenter au public des théories expliquant les fondements de la probabilité. Le  trois femmes sont : une ouvrière du nord de la France qui devient artiste plastique et qui utilise de la nourriture pourrissante pour faire des sculptures symbolisant l'échec de ses trois mariages consécutifs, une jeune fille SDF qui apprend à faire des claquettes avec des boites de conserves et monte un numéro de rue, et une chercheuse américaine qui travaille sur un nouveau sous-marin atomique.


Women and Spaceships

Un vaisseau spatial s'écrase sur une planète peuplée uniquement de femmes guerrières (les bébés sont amenés par cigognes, si jamais vous vous posiez la question). A l'intérieur se trouve un bébé chat, qu'elles prennent pour une créature extrêmement mignonne, avec tous ses petits poils et sa langue ooh et oui tu aimes bien quand on te caresse le cou comme ça oh t'es un gentil bonhomme et OOH HAAA TU M'AS MORDU, et en fait le chat est un prédateur dangereux envoyé pour affaiblir les femmes guerrières, par un consortium qui veut embarquer certaines des dites femmes pour les mettre dans un zoo. S'ensuit un apprentissage technologique à partir du vaisseau écrasé, la montée d'une flotte et une bataille épique aux alentours des anneaux de Bételgeuse.


Lubitsch and Clothes

Un réalisateur allemand est ressuscité par erreur lorsqu'une bande de frat boys profanes déverse une trop grande quantité d'alcool sur sa tombe en prononçant le mot "schnitzel". Désormais hors de mode, il est incapable de percer dans le monde du cinéma car ces comédies sont jugées trop avant-gardistes et sexistes envers les hommes ; il se découvre alors une nouvelle passion, la couture. Mais voilà qu'il est engagé par un dictateur africain pour coudre la robe de sa femme, doit-il accepter, est-ce moral ? Et surtout, peut-il s'empêcher de tomber amoureux d'elle ?


Boobs and Basketball

Une ancienne actrice porno vit une expérience épiphanique polyphonique lorsque son père meurt renversé par l'ambulance qui était censée transporter le coeur qui lui était destiné pour son opération. Le choc crée un chamboulement dans sa vie, et l'actrice décide de se ré-orienter et de fonder un club de basket féminin pour anciennes actrices porno. Très vite, l'équipe a du succès et attire des foules (masculines), mais pas pour les bonnes raisons... réussiront-elles à être respectées pour ce qu'elles sont, des joueuses de basket-ball, et non des poitrines refaites ?

jeudi 19 mars 2015

Big Eyes : le retour aux sources de Tim Burton

Déjà, commençons par être honnête : je n'ai jamais été un fan de Tim Burton. Et je ne fais pas de litote ici, cela ne veut pas dire que je déteste son cinéma, cela veut simplement dire ce que les mots présentent, Tim Burton ne fait pas partie de mes coups de cœur, de mes génies adorés. J'ai adoré son livre d'entretiens avec Mark Salisbury, et je suis terriblement attaché à Beetlejuice, ses deux Batman, et à Frankenweenie (le court et le long). Il le dit lui même, il ne s'intéresse que rarement à l'histoire dans une oeuvre filmique, lui s'intéresse bien plus aux visuels, ce qui le rend fascinant d'un point de vue esthétique (l'exposition à la cinémathèque lui étant consacrée était magistrale) mais toujours un peu décevant pour moi, simplement parce que pour des questions de goûts, je préfère les histoires au reste. Pour autant, Tim Burton a des qualités indéniables au delà de ses talents d'esthète, et c'est grâce à des films comme Big Eyes que cela transparaît.


Le film: biopic ou pas biopic?

Big Eyes marque le retour de Burton au biopic, avec les scénaristes qui ont justement lancé la mode des histoires vraies sur des personnes "non exceptionnelles", avec Ed Wood, toujours par Burton. On y découvre donc l'histoire de Margaret Keane, artiste exploitée par son mari pour vendre son art et fonder un empire commercial basé sur la notion de la copie (coucou Andy Warhol).
Et il est vrai que je n'ai jamais été ultra fan des biopic, ça me saoule de plus en plus à vrai dire. Et pourtant ce film m'a plu. Non, j'ai même adoré ce film ! Tout simplement parce que j'ai réussi à me plonger dedans et voir cela comme une histoire qui m'était racontée, et pas du tout comme un moyen d'assouvir un désir pervers documentaire. Le script est d'ailleurs très bon de ce point de vue là, puisque les événements réels ne sont jamais rien d'autres que des prétextes pour développer soit des scènes entre personnages, ou des commentaires sur la question de la commercialisation de l'art, et sur le notion de goût en matière d'esthétique. Ces commentaires sont absolument délicieux par ailleurs, et sont illustrés par un Terrence Stamp magistral en critique d'art révolté par les toiles de Keane.



L'univers Burtonien au placard :
Hé, j'ai fait une blague en référence au documentaire Waking Sleeping Beauty ! Wouhou ! Heu bref. Tim Burton a toujours confronté deux univers à différents degrés dans sa carrière, pour des raisons purement personnelles : d'un côté on trouve son imaginaire tordu et déjanté, nourri d'Edgar Allan Poe et de Margaret Keane (ben oui, et c'est bien pour cela qu'on sent que le projet lui tient à coeur), et de l'autre l'Amérique pavillonnaire dans laquelle il a grandi. La rencontre entre les deux, le monde coloré des publicités à la Mad Men et les cimetières abandonnés, s'étend sur la majorité de sa filmographie, de Beetlejuice à Edward Scissorhands jusqu'aux plus récents Dark Shadows et Frankenweenie... mais cette fois, les couleurs pastels envahissent l'écran au détriment du reste. Et c'est bien normal, il s'agit d'un retour aux sources : avant Margaret Keane, il n'y a pas de Tim Burton. Alors la fantasmagorie est cantonnée aux toiles, ou presque. Car au milieu des lumières et rouges et jaunes et bleues et arc-en-ciel délectables se cache une actrice, qui n'apparaît que dans quelques scènes mais resplendit comme une égérie burtonienne parfaite, à l'image de Winona Ryder avant elle, Krysten Ritter. Connue pour son rôle tragique dans Breaking Bad et sa diabolique duplicité dans Don't trust the B... in appartment 23, elle se trouve parfaitement à sa place ici ; corps élancé, tenues sombres et travaillées, cheveux tourbillonnants et air macabre amusé... on en veut plus ! Mais là n'est pas le sujet de ce film.

Un esthète de la mise en scène:

Une fois que le côté flashy, le bling bling de Burton disparaît (cela en même temps que son public malheureusement; le film a fait un flop absolument gigantesque aux Etats-Unis, de quoi décourager toute tentative pour lui de s'éloigner de son image de marque...  ce qui fait directement et tristement écho à Margaret Keane et sa prison de toiles, scrutée sans cesse par des grands yeux qui lui ont un jour appartenu), ses autres talents apparaissent au grand jour, pour faire une métaphore bien ringarde. Et Burton EXCELLE sa maman en cardigan pour tout ce qui touche à la mise en scène. Bien cadrer une image, mettre en valeur un geste, un déplacement ici ou là, ou bien le garder en retrait pour mieux l'amener au fur et à mesure des scènes... sa maîtrise est indéniable et c'est un véritable plaisir de pouvoir observer un film aussi bien codifié, notamment dans le genre du biopic qui n'a que très rarement des choses à dire dans son langage visuel. Il est difficile de ne pas jubiler quand on passe d'un scène où Monsieur Keane décide de faire payer pour les posters et ouvrir un autel à la gloire de la copie, à une scène de Margaret dans un supermarché, face à des centaines de canettes toutes identiques, juste à côté d'un présentoir de produits dérivés basés sur ses peintures. Autre exemple, la répétition du cadrage renfermant Margaret au premier plan à droite, avec sa fille au second plan à gauche, au moins cinq fois dans le film ; c'est d'abord leur cocon, dans la voiture qui est leur seul refuge quand dans la première scène Margaret quitte son premier mari, c'est enfin leur force quand elles se retrouvent protégées par le tribunal à Honolulu.


Puppet master : Burton et les acteurs

Et c'est là sans doute son talent le plus rarement apprécié (mais je peux me tromper ! Je ne suis pas dans la tête de tout le monde. Sinon, la planète entière serait en train de fredonner "The Schmuel Song" de The Last Five Years), Burton sait diriger ses acteurs et en tirer le meilleur. Cela va de pair avec sa maîtrise de la mise en scène bien évidemment, pour tout ce qui concerne les déplacements et autres gestes, mais il parvient à trouver le ton juste. Bon, avec Amy Adams ce n'est vraiment plus surprenant parce qu'elle est toujours exceptionnelle, mais les acteurs enfants sont justes dans le film, et ça c'est un sacré challenge ! Mais le plus intéressant dans Big Eyes, c'est la performance de Christoph Waltz, qui a été à la fois décriée, moquée, et applaudie. Et c'est en effet le seul acteur à avoir un rôle qui ne joue jamais ou presque, la bonne note. Il y a en permanence un soupçon de fausseté... mais n'est-ce pas voulu ? N'est-ce pas évident ? Car le mari de Margaret Keane n'est jamais, jamais JAMAIS vrai et ce en aucune circonstances dans ce film. C'est un bouffon, un homme de théâtre qui se croit sans cesse à la télévision (son passage au tribunal est à peine regardable tellement il est ridicule), qui manipule son image sans cesse (la séance photo du couple en train de peindre, mamma mia) et qui même dans son mariage s'appuie sur un mensonge... au début du film, lorsque des clients s'intéressent aux toiles de sa femme et non aux "siennes", on lit de la douleur dans ses yeux. Mais après cela, tout n'est que mensonge, c'est l'opposé exact de sa femme, l'artiste qui n'en a que le nom et en ternit le sens. Le meilleur passage du film qui révèle cela, c'est sa crise de colère face au critique qui a démonté "son" "chef d'oeuvre" (oui, beaucoup de guillemets, mais il a commandé à sa femme son chef d'oeuvre, ce qui est tellement absurde que c'en est presque drôle), puisqu'il y a la fois un soupçon de rage authentique et une réaction qui lui semble être celle qu'aurait un artiste meurtri par une attaque envers ce qu'il a créé de plus personnel. Donc, moi je dis tout simplement chapeau... l'artiste.




mercredi 18 mars 2015

Chappie : Pinocchio Bling Bling

En deux mois sont sortis deux films avec des robots qui apprennent à faire des fist-bump correctement ! C'est assez amusant comme coïncidence.

...Et cela n'est pas une façon correcte de commencer un article. Je recommence.


Après le quelque peu décevant Elysium, le réalisateur Neill Bloomkamp revient avec un troisième long-métrage qui explore encore une fois l'inhumanité de l'homme, le monstre et la transformation. Il raconte cette fois-ci l'histoire d'un robot qui possède une intelligence artificielle : nous sommes à Johannesburg, comme toujours, et la police utilise des robots flics (non, je n'allais pas dire Robocop, c'est trop facile) pour démanteler les nombreux réseaux de drogues qui pourrissent la ville. Le créateur de ces robots parvient à inventer une intelligence artificielle, qui est capable d'apprendre d'elle-même et de dépasser l'être humain. La boite qui fournit les robots flics n'est pas du tout intéressée par son idée, et il se retrouve à l'exploiter clandestinement... sauf que voilà, son robot se fait capturer et est élevé par un petit gang de voyous. Bon il se passe plein d'autres trucs hein, y a des gangs de super-méchants Jason Momoa wannabes, Hugh Jackman qui veut qu'on l'applaudisse parce qu'il a construit le robot tueur de la fin de Robocop (non là c'est pas une blague, c'est juste le même robot)... mais je ne vais quand même pas tout vous raconter, on ne me paye pas pour ça. D'ailleurs, on ne me paye pas ! Et qui est ce on ? C'est peut-être là le vrai problème.


Sur le papier, et à l'écran, Chappie a de quoi être un excellent film, et pourtant... j'ai un problème avec ce réalisateur. Je ne me l'explique pas vraiment, mais je me trouve absolument incapable de rentrer dans ses films, que j'ai tous vu par ailleurs. Son montage me perturbe, trop rapide ? Trop sec ? Son cadrage me sort de l'image en permanence, et je dois me forcer à me concentrer pour m'intéresser aux personnages... alors je suis frustré, je m'ennuie et je grogne. Arrivé au deuxième acte du film, je me mets à me concentrer sur le ronflement d'un spectateur tout aussi décontenancé que moi qui s'est endormi bruyamment dans la salle, dérangeant ainsi deux rangées entières.


Il s'agit bien là de frustration ; un film sur l'intelligence artificielle, une sorte d'histoire de Pinocchio d'un robot qui veut bien faire et devenir un bon humain bien comme il faut - à la différence près et plutôt géniale que ses parents adoptifs sont des gros gangstas et lui apprennent à se comporter comme tel, en marchant comme un badass et en jurant à tour de bras mécaniques - qui a le mérite d'être authentique et original, il faut en vouloir pour ne pas l'aimer ! 


Alors oui, ce film me fout en rogne, parce que j'aimerais l'apprécier, et qu'il est comme toujours dans les films de Bloomkamp bourré de bonnes idées. Et tout ce que j'y vois au final, ce sont les clichés scénaristiques et les incohérences dramatiques qui ne sont pas plus choquantes que dans tout autre film... ce film est probablement cool. Mais pas pour moi. Tristesse.

jeudi 12 mars 2015

The Voices : La Vie en Rose et du sang à paillettes.

Y a des films comme ça, qui savent vous parler. Dès les premières images, vous savez que quoi qu'il arrive, vous serez enchantés, juste par des affinités thématiques. Moi, j'ai un faible pour les petites villes américaines paumées. Ils se plaignent tous d'habiter dans le trou du cul du monde, mais moi je trouve ça étrangement fascinant. C'est dans ma liste de coups de coeur incontrôlés avec les numéros musicaux, les histoires d'héroïsme politique, les confusions entre fantasme et réalité, et la présence d'Anna Kendrick dans un film. Heureusement pour moi, presque tout cela est présent dans le nouveau film de Marjane Satrapi - surtout connue pour son Persepolis - intitulé The Voices.


The Voices raconte l'histoire d'un mec un peu paumé, joué par un Ryan Reynolds meilleur que jamais, et par un peu paumé j'entends totalement déglingué. Il vit dans une petite ville très charmante, sauf que comme le film nous le fait comprendre très vite, il ne voit pas les choses comme elles le sont. Tout est plus beau dans sa tête, et des petits papillons se baladent ici et là... tout est rose bonbon, joli, classe, lumineux, bref c'est beau ! Et puis il entend des voix. Son chat lui parle, dans un mélange sans doute sans précédent d'accent argentin et écossais, ainsi que son chien.


Donc, ça ne va pas trop trop bien dans sa tête quoi. Et c'est de famille, comme l'explique sa psychiatre, sa mère avait des problèmes similaires... et ce cher Ryan Reynolds ne prend pas ses médocs, car il veut continuer à voir la vie en rose. Et nous aussi d'ailleurs ! Parce que dès qu'il les prend, son monde devient... trop vrai. Glauque, effrayant. Ce qui offre une deuxième dimension de lecture qui rend tout à la fois drôle et franchement perturbant.


Et puis, les filles arrivent. La mère, les belles femmes, on entre dans le territoire du film de psychopathe comme on le connait bien, et on pense aussitôt à Norman Bates et Jason Bateman (qui sont mentionnés lors d'une scène de rap dans un karaoké, évidemment)... qui sera tué, et comment ? Ryan Reynolds sera-t-il arrêté, sauvé ?


L'intérêt du film est de nous placer de ce point de vue, et de le rendre extrêmement sympathique, au point d'avoir de la pitié pour lui... jusqu'à ce qu'il nous trahisse, et qu'il devienne de plus en plus difficile de croire en lui. En cela le film est une réussite. Il aurait sans doute gagné à être plus rythmé, et au risque de m'attirer des ennemis je trouve que la mise en scène de Satrapi dessert la qualité du script.
Un mot sur la fin du film : Kaboom. Mais, genre en musique.

mercredi 11 mars 2015

Selma : Gravitas et Formalisme sont sur un bateau, personne ne tombe à l'eau

Je n'ai pas grand chose à dire sur ce film. Voici deux trois mots dans des catégories qui donneront l'illusion d'une quelconque structure:


Le scandale des Oscars :

Parfois, un film n'est pas représenté aux Oscars, et ce n'est pas parce qu'il se fait snobber, c'est juste que ce n'est pas un si bon film que ça. Selma est un bon film, mais ce n'est pas un film génial. Il est extrêmement formel, attendu, logique. Un peu comme American Sniper, ou The Imitation Game, mais qui sont eux plus maîtrisés en terme de rythme... Il est vrai que l'on aurait pu espérer voir des nominations au niveau du jeu cependant. David Oyelowo est plus qu'impressionnant, mais quand on pense que Jake Gyllenhaal n'a pas non plus été nominé, ça fait relativiser.


La représentation du réel :

J'en ai déjà parlé avec The Imitation Game, ce genre de biopic/reconstitution historique est fascinant car il se permet de faire entrer des faits dans des codes narratifs qui reposent avant tout sur un système de causalité : or, dans la vraie vie, c'est juste le chaos les enfants. Rien n'est aussi simple qu'un simple lien de cause à effet, sinon nous serions tous bien plus aptes à faire des maths. Donc, en un sens, s'attaquer à de tels histoires est aberrant, mais aussi important... car ce sont des histoires qui méritent d'être connues. Et contrairement à ce que dit King dans le film, tout le monde ne se souvient pas de la marche de Selma.
Le problème de ce genre de film, est qu'il faut réussir à dissocier réalité et fiction : suis-je en train de ressentir autant d'émotions parce que je sais que c'est une histoire vraie, ou bien parce que la tension de la scène m'a amené jusqu'à cet état émotionnel ? Sachant qu'il y a toujours le risque de rajouter de la fiction dans la réalité pour avoir un impact encore plus fort (Le Majordome... non mais ce film), et encore une fois est-ce un problème ? Si le but est de faire un film, c'est-à-dire de la fiction, du mensonge présenté comme le réel 24 images par secondes (ou 25, si vous regardez ça à la télévision), tous les coups ne sont-ils pas permis ?

Biopic et temps présent :

Le moment où une oeuvre est écrite, au delà de l'époque qu'elle décrit, est extrêmement révélateur. Selon moi, un biopic est au minimum réussi s'il parvient à nous faire comprendre le pourquoi de son existence présente : là-dessus, Selma est irréprochable. S'il nous montre des soucis autour de la loi sur les droits civiques, des noirs martyrisés par une police véreuse, une présidence inquiète et parano qui met ses citoyens sur écoute, c'est pour mieux nous rappeler notre réalité bien à nous : actuellement, l'acte de 1965 est menacé par des républicains qui considèrent que la ségrégation est bel et bien terminée aux USA (spoiler : ce n'est pas le cas), la police de Ferguson a sciemment organisé une communauté raciste et violente, le gouvernement et la NSA ont mis sur écoute à peu près tous les humains de cette planète... Le contexte y est, et c'est surtout cela qui fait réfléchir. Nous sommes 50 ans plus tard, qu'avons-nous accompli ?



Remarques en vrac :

Superbe représentation de Lyndon Johnson et de sa manière complètement foutraque de parler.
Martin Sheen en deus ex machina du film, ça donne juste envie de regarder The West Wing en boucle. All heil the best president ever.
Pourquoi mettre Glory pendant le générique et pas pendant le film ?

Inherent Vice : Les gueules d'ange en plein délire ("forget it Lebowski, it's Chinatown...")

Si vous habitez en région parisienne, vous avez forcément vu les affiches du nouveau film du frappé Paul Thomas Anderson, elles sont partout : l'une d'elle représente une femme en maillot de bain avec des jambes incroyablement longues, sous une lumière rose incongrue, tandis que l'autre présente le cast totalement dingue du film dans une représentation de la cène. On peut ainsi penser que PTA revient à ses sources, à l'exploration d'un monde fait de débauches, de bizarrerie et de sexe dans les méandres de la Californie comme il l'a fait avec Boogie Nights ou Magnolia auparavant... et c'est en partie le cas.

Inherent Vice est l'adaptation d'un roman de Thomas Pynchon du même nom, et nomdidiou que c'est compliqué et bordélique. PTA est de ce genre de réalisateur qui n'aime pas prendre le spectateur par la main et faire une visite guidée ; ou alors, s'il te prend la main c'est pour te jeter dans une benne à ordure où tu te retrouveras en compagnie d'une femme lépreuse habillée en ours polaire, qui te proposera de monter un groupe de rock dont la musique devrait permettre de luter contre les ondes maléfiques que le gouvernement utilise pour contrôler ton cerveau. Ouais, c'est un peu barré comme ça le cinéma de Paul Thomas Anderson, et cette fois-ci ne déroge pas à la règle : Joaquin Phoenix est Doc, un détective privé hippie totalement défoncé 24/24 7/7 qui se retrouve mêlé à une affaire de disparition... un peu comme dans The Big Lebowski, avec des personnages tout aussi hauts en couleur à tous les coins de rue, mais avec la complexité dramatique de Miller's Crossing et un déroulement proche de Chinatown. Ouais, rien que ça.


Franchement, on pige rien. Rieeeen. Doc se retrouve avec au moins 6 affaires qui se mélangent et se croisent autour d'un même groupe de personne sans trop savoir où donner de la tête, et à la manière de son personnage, qui en état de défonce permanent a du mal à suivre ce qui se passe, le spectateur plonge tête baissé dans la folie californienne. Dès lors, le film est plus un prétexte pour une galerie de personnages absolument ahurissante, et je pèse mes mots et ils font bien cinq tonnes douze vu le degré de connerie des personnages susmentionnés. 


Tous les acteurs et actrices, aussi beaux et belles qu'ils soient (le nombre de filles dénudés et aux jupes trop courtes dans le film est un peu ouf), sont avant tout des gueules ; ils ont des protubérances, des tronches quoi des vraies identités et c'est ce qui en ressort : Bigfoot, le flic joué par Josh Brolin, est un dur à cuir violent et incompréhensible qui ne cesse de manger des bananes glacées enrobées de chocolat de manière extrêmement suggestive, Martin Short est un dentiste cocaïnomane qui se tape sa réceptionniste vêtue d'un ensemble cuir ainsi qu'une mineur abonné à la fugue mensuelle, Katherine Wasterson est une femme fatale à la sauce hippie (qui a droit aux deux meilleurs plans séquences du film : une cavalcade amoureuse sous la pluie dans une lumière à tuer des chatons, et une scène... "sensuelle" ? avec Doc sur son canapé)... et au milieu de toutes ces gueules se pose une voix, la narratrice, qui apparaît aussi en tant que personnage mais qui raconte telle la Pythie, le monde comme elle le découvre sans le vivre. Et cette voix est l'équivalent d'une gueule dans le monde des voix (ouuuh admirez mon style), puisqu'il s'agit de la divine Joanna Newsom (allez écouter son triple album Have One On Me, vous comprendrez). Narration qui elle-même se perd et se détache de l'image au fur et à mesure jusqu'à oublier de la commenter et apporter un peu plus de confusion dans le mix.

Donc, on pige que dalle, c'est n'importe quoi, et surtout c'est drôle et c'est beau. Drôle, parce que ces personnages sont des caricatures vivantes mais avec juste assez d'authenticité pour qu'on y croit, drôle grâce à des scènes comme celle dans le bureau de Martin Short quand l'assistant de Doc débarque un volant à la main pour expliquer qu'il ne sait pas conduire. Beau, parce que Paul Thomas Anderson est un sacré plasticien qui filme encore en analogique et qui a su rendre une ville de Los Angeles toujours baignée dans une lumière trop forte, des couleurs trop vives, bref une ville trop. Et pour le coup, je peux dire merci à l'Arlequin qui diffuse le film en analogique, ce qui n'arrive presque plus de nos jours (hé Renaud, tu te souviens quand tu vivais à Chicago ? Que tu avais une bourse pour étudier des trucs géniaux, que tu pouvais aller voir 5 films en analogiques par semaine, que tu avais une copine géniale ? Ouais, la vie ça pue hein.). C'est un vrai régal de voir la bobine de la première pellicule déjà s'abîmer (ouais, la fin de l'analogique a quand même des raisons sacrément logiques) devant ses yeux et le grain ajouter un petit quelque chose à un film aussi frappé.


Inherent Vice, c'était bien fendard, et ce sera le mot de la fin. Fin !




mardi 10 mars 2015

Vincent a des Ecailles : le super-héros qui n'est pas une poule mouillée

Commençons par ce qui fâche, parce que cela me paraît important et une fois que cela ferait, je pourrais expliquer pourquoi ce film défonce.


La promotion de ce film est globalement fondé sur une série de mensonges assez grossiers, visant à attirer un public. Tout d'abord, ce n'est pas "le premier film de super-héros français", puisqu'il y a eu des tentatives avant, sans parler du fait que Michel Gondry a réalisé le génial The Green Hornet avant. Et de plus, le film n'est pas "garanti sans effets numériques" comme l'explique la bande-annonce, et j'avoue que celui-ci fait un peu mal quand mon très bon ami le Commandant Rémus Bouh, infographiste, a travaillé sur le film en post-production.
Ceci étant dit, je comprends un peu la démarche. Il s'agit de montrer que c'est un film de super-héros pas comme les autres, bien de chez nous, et il est vrai que l'utilisation d'effets visuels non numériques dans le film fait preuve d'une réelle inventivité qui m'a fait jubiler à plusieurs reprises. Donc voilà, tout est dit, je comprends, mais quand même c'est un peu pas méga réglo.


Voilà, j'ai poussé mon coup de gueule, maintenant je peux le dire : j'ai adoré ce film. Après de nombreux courts-métrages, Thomas Salvador écrit réalise et joue dans un "long" (1h15) métrage qui présente un homme dont la force est décuplée quand il est mouillé. Oui, ça sonne totalement débile hein, mais primo ça n'est pas franchement bien différent d'un mec qui devient élastique suite à un accident nucléaire, et deuxio le film est totalement conscient du ridicule de la chose et en joue énormément. Sous bien des aspects, Vincent n'a pas d'écailles est une comédie. Mais pas de ce genre bien lourdingue et potache qui fait le succès du cinéma populaire français, non, c'est un style comique plus proche de celui de Bruno Dumont dans sa série Ptit Quinquin, c'est un jeu constant sur le rythme, la lenteur et les coupes abruptes.
 Il ne se passe presque rien dans ce film : le héros bosse sur un chantier, puis il va s'isoler dans la nature et se baigne dans un lac, là où il se sent bien. Il rencontre une fille, ils s'aiment. Il lui révèle ses pouvoirs, ils s'aiment. Des ennuis arrivent, et voilà. Chaque personnage du film est à peu près aussi loquace que Mad Max, ce qui fait que chaque réplique semble sortir de nulle part ; chacune à leur tour, elles brisent le silence avec une hésitation tordante. Et à côté de cette lenteur, chaque fin de scène quasiment (les scènes sont presque tous des plans fixes, pas de champ contre-champ, zéro bullshit l'image te raconte sa vie toute seule, sans manuel d'utilisateur) est extrêmement surprenante, très rapide. Cela donne une ambiance humoristique avec un côté touchant, voire attachant ; le pinacle du film de ce point de vue là est un montage totalement insensé où la copine du héros lui pose les questions que tout le public se pose depuis le début du film : et si tu mouilles juste ta main, ta main elle devient super forte ? Et s'il pleut ? 


C'est pour moi la grande réussite du film ; il parvient à raconter des personnages sans leur donner beaucoup d'histoires, vu qu'ils ne parlent presque jamais, et même comme ça le spectateur peut s'attacher à eux. Pour un film à petit budget, réussir une telle prouesse visuelle dans le langage cinéma, ça mérite le respect. Le petit couple est touchant, mignon, drôle, à la fois dans leurs maladresses et leur timidité, et leur confiance en soi dans leurs moments de vie privée (il y a une séquence de danse nue qui est absolument fantastique).


Quant à la partie super-héros du film, on pense évidemment au dernier bon film en date de Shyamalan, Incassable, notamment parce que la kryptonite de Bruce Willis est ici la source de la force du héros. Sauf qu'Incassable était vraiment centré sur la question de la nature des suer-héros, alors qu'ici il est difficile de considérer le film comme un modèle du genre. C'est ce qui aurait pu faire que le film se rate totalement, et pourtant c'est ce qui fait sa force : il est original et de la bonne manière. Tout en passant ici et là par les cases attendues, avec les phylactères qui correspondent : une jolie référence à Spider-Man et surtout une course poursuite à la fois drôle, prenante et surprenante entre notre héros et la police.


Vincent n'a pas d'écailles est un film surprenant, convainquant et charmant, et il mérite que l'on parle de lui. Ce que je viens de faire ! Elle est pas belle la vie ? Allez viens je t'offre un café. Tu ne bois pas de café ? Mais c'est une expression, café, chocolat, thé, tu prends ce que tu veux... un whisky ? à midi 15 ? Vraiment ? Bon bah ok... mais c'est bien parce que ta femme t'a quitté la semaine dernière hein !

vendredi 6 mars 2015

CitizenFour : et Captain America dit alors "Heil Hydra!"

Une claque. Pas le genre de claque qui t'envoie le cul par terre tout penaud et apeuré, pas le genre de claque qui t'achève, non. C'est une claque qui éveille, réveille, et donne envie de hurler. Hurler de rage, parce que le scandale est sous nos yeux, hurler avec passion parce que Laura Poitras fixe sa caméra sur l'héroïsme, le vrai, celui qui fait trembler les gouvernements les pays et les putain de plaques tectoniques.
Le documentaire ne s'appelle pas "Edward Snowden", même si son visage apparaît sur l'affiche, et ce n'est pas sans raison. "Citizen Four", c'est le nom de code qui sert à la fois de symbole, pour une idée sur laquelle je reviendrai plus bas, et une manière de montrer que contrairement à ce qu'on fait une grande partie des médias, il ne s'agit pas de parler de l'homme. Du moins, pas de la partie qui ne devrait compter : sa famille, son passé, sa compagne... tout ça, c'est du racolage. Ce qui compte, c'est le discours. Et des discours, il y en a trois : celui de Snowden, celui de Glenn Greenwald (le journaliste de The Guardian qui lui a servi de relais), et celui de la réalisatrice Laura Poitras, monteuse américaine qui vit à Berlin et a notamment beaucoup travaillé avec Tom Twyker (Run Lola Run, Cloud Atlas).
Mais Laura Poitras, c'est surtout une réalisatrice de documentaire avec un culot qui renverse des montagnes : depuis 15 ans, elle étudie et révèle l'Amérique post 11 septembre et s'est vue emprisonné à de nombreuses reprises. Elle commence à filmer en 2011 sur le sujet d'une surveillance volontaire des citoyens américains par la NSA, et les vingt-cinq premières minutes du documentaire y sont consacrées. On y voit des bases être crées, et surtout des affaires judiciaires où les représentants de la NSA nient en bloc toute opération de récupération de données massive, malgré des soupçons déjà assez grands pour mener à des affaires judiciaires. Voir ces images maintenant, après les révélations, ça fait bien rire sa mère. Mais bien jaune le rire hein, faut pas croire.

Ce n'est seulement après cette introduction que Snowden apparaît enfin. Ses mots sont déjà lus et entendus dès le début du documentaire, histoire de créer l'attente... et celle-ci est bien récompensée. Car il s'agit là du cœur du film, toute ces quarante minutes d'images environ dans la chambre d'hôtel à Hong Kong. Laura Poitras fait partie des deux personnes, avec Glenn Greenwald, à avoir été contacté par Snowden pour mettre en place les révélations. Nous découvrons donc les entretiens qui ont duré une semaine, comme si nous y étions. Et c'est vraiment ça, on a le sentiment d'être dans la chambre avec eux et de découvrir au fur et à mesure... c'est à ce moment que le film se transforme en fiction d'espionnage. Il n'y a rien de plus réel, et pourtant on a l'impression de voir Six Days of Condor, The Conversation ou All The President's Men... sauf que c'est la vraie vie. Quand une alarme incendie se déclenche à plusieurs reprises à leur étage, on se prend à devenir paranoïaque avec eux, et il faut se pincer pour se rappeler que tout ça est réel. Snowden lit par exemple un mail de sa compagne restée aux USA (et qui n'est pas au courant de ses actions à venir), qui lui apprend que leur propriétaire lui demande de se signaler pour un paiement non effectué (malgré le fait qu'ils soient tous réglés par virement automatique) et qu'il y a plein de camions d'une entreprise du bâtiment dans leur rue...

Durant les entretiens, Snowden parvient à montrer tout de suite qu'il est incroyablement préparé. Toutes ses décisions sont mûrement réfléchies, ses convictions sont clairement établies : cela n'a rien de personnel, il essaie de faire en sorte de pouvoir manipuler la manière dont l'information va sortir pour éviter que les médias se concentrent uniquement sur lui... ce qui compte, c'est le message. Et là c'est raté, comme nous l'avons tous vu... l'ironie est telle qu'Oliver Stone est déjà en plein tournage du biopic. Car malgré sa volonté de disparaître derrière le scandale qu'il révèle, ce que le documentaire montre aussi c'est la puissance de ce héros. Oui, j'ose l'appeler ainsi, je prends partie et je l'assume ; sa manière de parler, sa planification, son intelligence apparente sont émanents, et c'est lui qui fait la force du documentaire. Lui et les journalistes, cloîtrés dans leur petite chambre, terrorisés mais déterminés à sacrifier leurs vies pour révéler ce qui mérite de l'être, sont filmés sans aucune prise de position, avec une authenticité exemplaire, et ce qui en ressort, c'est ça : de l'héroïsme, du vrai. Et c'est pour cela que malgré les horreurs que révèle le documentaire (notamment l'échec total de l'attaque envers le système de surveillance britannique, pour cause de pression du gouvernement sur The Guardian), on en ressort avec une lueur dans les yeux. Estomaqué certes, mais aussi rassuré. Rassuré de savoir qu'il y a encore des hommes et des femmes qui n'ont pas peur de se prendre pour des héros comme s'ils étaient dans un film hollywoodien de Robert Redford et d'Alan Pakula.

Car Snowden dans ce film, c'est Captain America. Le président Barack Obama aura beau dire que ce n'est pas un patriote, il a au contraire fait ce qu'il lui semblait être juste, et ce qui est dans la plus droite lignée de Thoreau et des transcendantalistes, des héros fictifs patriotiques comme Captain America. Et c'est là où les mots deviennent amusant, puisque Snowden espère voir les médias se concentrer sur le scandale mais aussi revendiquer sa position, se présenter au monde, pour servir de modèle, montrer qu'il n'a pas peur. Ainsi, il espère inspirer d'autres comme lui à réagir, et prendre sa place une fois qu'il sera attaqué de toutes part... et c'est ainsi que le véritable Captain America se compara à l'hydre, et à raison : quelques mois après, Glenn Greenwald vient informer Snowden par messages sur feuilles de papier (film d'espionnage je vous dis) qu'un homme s'apprête à leaker des informations sur les cibles des drones américains. L'héroïsme n'est pas mort, et ce documentaire est un monument à sa gloire.