jeudi 30 avril 2015

Le Labyrinthe du Silence : la grande Fiction au service des bassesses de l'Histoire

Il n'y a pas grand chose de vrai dans le déroulement dramatique du premier film de Giulio Ricciarelli, mais l'histoire qu'il rappelle et les questions qu'ils posent sont bien véritables et authentiques. Le Labyrinthe du Silence (Im Labyrinth des Schweigens en allemand. Le titre anglais perd beaucoup puisqu'il a changé le "silence" en "mensonge", qui n'a pas du tout la même nuance) raconte un pan méconnu de l'histoire, celle du procès de Francfort. Et oui, après le procès de Nuremberg en 1945, le monde s'est un peu lavé les mains et est passé à autre chose... et l'Allemagne aussi.


Ainsi, vingt ans après, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes en Allemagne bonnienne (oui, j'avais pas envie de dire Allemagne de l'Ouest, j'ai inventé un truc, et alors, qu'est-ce que t'y peux toi), les enfants chantent et dansent dans la cour surveillé par leurs gentils professeurs. Dont certains sont des anciens nazis qui ont participé à l'extermination de juifs, homosexuels, opposants politiques, dans les camps ! Tout de suite les enfants qui chantent ça fait moins mignon.


Le film est d'abord surprenant par son propos, parce qu'il touche à un moment réellement méconnu. Il existe au moment de l'action toute une génération qui n'était pas assez âgée pour avoir compris ou connu les horreurs, et tout cela tombe dans l'oubli. C'est donc sous l'impulsion de trois procureurs que l'Allemagne s'est lancé au début des années 60 dans un gigantesque procès visant à juger son propre pays pour ses crimes de guerre, littéralement du jamais vu dans l'Histoire (l'Allemagne est le meilleur pays, raison 4687).

Mais ça, c'est la véritable histoire. Ici, nous sommes dans une fiction qui a deux objectifs : rappeler au monde l'existence de cet événement, et montrer toutes les questions existentielles que cela soulève. Pour cela, point de trois procureurs mais un seul, fictif : le grand et beau Alexander Fehling, sorte de Christopher Nolan version mannequin. Irréprochable, inébranlable (pendant un temps), il se retrouve plongé dans un véritable cauchemar de mensonges et de silence. Le réalisateur fait d'ailleurs ressentir cette idée de labyrinthe avec un nombre de plans conséquents sur ses héros en train de marcher dans des couloirs ; le sentiment de l'insurmontable envahit la quasi totalité du film.


Malheureusement se reposer sur la fiction sur tout le long a aussi ses défauts, et certains points sont franchement mal amenés ; le format du film est extrêmement classique, il y a donc une intrigue romantique secondaire qui n'apporte presque rien (et puis paye ton personnage féminin qui ne parle que de machines à coudre et de danser pendant que les hommes tentent de changer le pays...), des personnages complètement ridicules (l'ambassadeur américain sosie raté de George Clooney, mon dieu sa mère quoi), et des ressorts narratifs un peu faciles...


Mais peu importe, car au final les questions posées sont assez fortes pour nous faire oublier tout cela. Pour le héros et son ami journaliste, au début tout est facile : il y a des anciens nazis en liberté, il faut les punir. Rapidement des problèmes se présentent : qu'est-ce que ça voulait dire être nazi ? Volontaire ou forcé ? Donneur d'ordres ou exécutant des ordres ? Le héros, ironiquement tout droit sorti d'un rêve d'Adolf Hitler, avec sa belle tête blonde et son physique de viking, comprend très vite que le problème est extrêmement complexe, et c'est là toute la beauté du film. Car à toutes ces questions, il n'apporte aucune réponse. Il ne s'agit pas de punir, ce n'est pas la partie qui compte. Il s'agit de mettre en lumière le passé que tout le monde cache, fuit ou a oublié, le faire briller de milles feux dans toute son horreur macabre. Lui faire face, puis lui tourner le dos sans l'ignorer, et aller de l'avant.

Affronter son histoire par la fiction populaire, c'est ce qu'on appelle la grande classe, et l'Allemagne le fait depuis longtemps. Vous imaginez du cinéma français qui montrerait notre histoire coloniale  ?Oui, y a eu quelques films, dont un qui a été très utile on se souvient de l'annonce du président Jacques Chirac, mais nous sommes loin d'avoir épuisé le sujet... et quand on voit la taille de notre industrie du cinéma et celle du cinéma allemand, il y a de quoi avoir honte.

dimanche 26 avril 2015

Broadway Therapy et Caprice : A trois on y va... pas trop.

Cette semaine, je ne sais pas trop pourquoi mais c'est un peu le rassemblement annuel des vaudevilles à l'ancienne. Nous avons deux films à l'ancienne avec des triangle amoureux bien barrés (dans les deux cas, et surtout dans Broadway Therapy, c'est plus un Tesseract amoureux tellement les participants sont nombreux et liés de façon insensé), qui jouent avec la comédie et tentent de danser la valse des grands classiques. Lubitsch, Wilder, avec une touche de Woody Allen période théâtre, Caprice et Broadway Therapy transpirent l'hommage. Mais sont-ils plus que ça ? La réponse après la pub !

Pub : vous recherchez quelqu'un pour écrire à votre place, qui aurait du style et de la verve et ferait beaucoup de fautes d'orthographes ? Engagez-moi ! Je coûte pas cher.


Broadway Therapy est un nouveau film de Peter Bogdanovich, figure complexe du cinéma américain au sens où il y occupe plusieurs places ; réalisateur, scénariste, critique, historien... il connaît le cinéma sous ses nombreuses facettes, et il semble alors évident qu'un homme tel que lui veuille rappeler ainsi à lui les classiques. Et puis il faut avouer qu'il est lui-même assez... démodé. Son succès n'a guère dépassé les années 70, en dehors de l'influence qu'il a eu sur les grands indépendants d'aujourd'hui comme Wes Anderson (qui est producteur sur le film, y a pas de hasard). 


Bref tout ça on s'en fout, de quoi ça parle ? Dans le film, une nouvelle starlette d'Hollywood (Imogen Poots, délicieuse) raconte son ascension haute en couleurs à une journaliste cynique ; alors qu'elle était une call-girl, elle a rencontré un metteur en scène (Owen Wilson, insupportable) qui a changé sa vie. Le metteur en scène se retrouve dans la mouise parce qu'il réforme des call-girl dans tous le pays en s'inspirant d'une réplique d'un vieux film de Lubitsch (sans déconner) et que cela commence à se voir. Son acteur principal découvre la supercherie et tente de le piéger car il veut se taper sa femme... puis la call-girl auditionne pour une pièce de théâtre dirigé par Owen Wilson, se retrouve enamouré avec le dramaturge, qui du coup frustre sa copine actuelle, la psy totalement folle de la call-girl (Jennifer Aniston, dans son meilleur rôle à ce jour à mes yeux, et clairement la meilleure de tout le film)... en vrai c'est même plus compliqué que ça. Il faudrait rajouter un détective privé, entre autres.


Donc voilà, je pense que c'est assez évident, on est dans du vaudeville haut en couleurs, des quiproquos dans tous les sens au sein du monde des artistes de New York... mais si au final le film est extrêmement maîtrisé et toujours amusant, il ne devient jamais désopilant. Donc, très plaisant, mais surtout malgré la volonté du réalisateur de retrouver l'ambiance des années Hayes et de l'âge d'or d'Hollywood, on pense surtout à du Woody Allen qui sent un peu le réchauffé. Le film est donc très sympa, mais quand on me vend une comédie à la Lubitsch, je m'attends à plus que ça !


Est-ce que Caprice, qui a connu une promotion similaire dans la presse spécialisée, s'en sort mieux ? Oui et non. Oui, parce que la première demi-heure du film est un des meilleurs moments que j'ai passé au cinéma cette année ; Emmanuel Mouret joue un professeur des écoles dingue d'une actrice de théâtre merveilleuse (Virginie Effira). Un jour, elle débarque dans son école pour lui demander des cours particuliers pour son neveu (c'est absurde, tiré par les cheveux ? Oui ! Mais c'est fait avec la légèreté et la beauté de la déraison), et la romance peut commencer, lentement et tendrement.



Le ton est décalé, ce que joue Emmanuel Mouret à la perfection (par exemple lorsqu'Anaïs Demoustier lui demande tout naturellement si ça ne le dérange pas qu'elle l'observe au théâtre, alors qu'elle est assise à côté de lui, parce qu'il lui rappelle quelqu'un), et surtout l'humour n'est jamais moqueur. Le rire naît du fait que les personnages sont extrêmement touchants. Ou absurdes ! La seule personnalité du fils du héros est qu'il aime lire. Pour son anniversaire, il est aux anges lorsqu'on lui offre l'intégrale de Victor Hugo dans les éditions de la Pleïade... normal, quand on a huit ans.


Mais surtout, c'est Virginie Effira qui crève l'écran pendant ces trente premières minutes. Son personnage est d'une douceur, d'une attention toujours totale qui la sublime... ce n'est pas souvent que l'on tombe amoureux au cinéma, alors chapeau. Et puis, Anaïs Demoustier vient apporter son grain de sel, le triangle amoureux commence (même si c'est plus compliqué, mais je passe hein) et le film s'enlise dans le mélo. Le ton reste légèrement décalé mais se perd dans les sentiments d'une manière assez peu cohérente avec le premier acte. Et c'est fort dommage ! Du coup, on s'ennuie.


Donc, deux tentatives pas trop mal réussies, mais toutes deux décevantes à leur manière aussi. Pendant le générique de Broadway Therapy, Bogdanovich a inséré une scène de Cluny Brown (La Folle Ingénue), de Lubitsch, ce qui rappelle bien rapidement que si l'on veut ressentir ce que fait ressentir le cinéma de cette époque, autant aller le chercher directement.



Good Kill : La naïveté est plus forte que le silence

Que cela plaise ou non, Andrew Niccol est un réalisateur qui aime faire passer un message. Contrairement à Howard Hawks qui avait dit "moi quand je veux transmettre un message, je vais à la Poste", lui aime le faire à travers les films qu'il écrit ou réalise. The Truman Show, Bienvenue à Gattaca, Lord of War, tout ça c'est lui. Parfois, il utilise le spectre de la science-fiction pour parler de notre monde moderne (vous vous souvenez du dernier plan de The Truman Show? Si c'est pas un des trucs les plus déprimants de l'histoire du cinéma moderne ça...), et parfois il est plus direct : c'est le cas ici avec Good Kill, qui se penche sur la guerre du 21ème siècle. Celle de la déshumanisation, par le biais des drones.


Good Kill raconte l'histoire d'un ancien pilote qui se retrouve assigné au contrôle de drones. Chaque matin, il quitte sa maison pavillonnaire du quartier créé pour les troupes, traverse Las Vegas et rejoint son petit pré-fabriqué, et son joystick. Depuis cette boite de métal, à quelques kilomètres de la plus grande folie du rêve américaine, Tommy Egan descend des criminels à 7 000 miles de là en rêvant d'obtenir son propre jackpot : retrouver un poste en tant que vrai pilote. Bref, la vie se fait morose, mais elle est vécue ; Egan n'arrive plus à être proche de sa femme ou de ses enfants, il boit un peu trop, mais le tout tient en place, maladroitement.


L'élément déclencheur, c'est l'intervention de la CIA, qui vient donner de nouvelles missions aux pilotes de drones ; sans rentrer dans les détails, ceux-ci en viennent à remettre en cause l'intérêt de tout ce qu'ils ont mis en place, chacun à sa manière. La co-pilote accuse ses supérieurs de se comporter exactement comme les terroristes présente les Etats-Unis, le gros con (ouais, pardon) trouve ça normal de nourrir le feu de la guerre jusqu'à l'éternité... et Tommy se renferme sur lui-même de plus en plus.


Ouais, c'pas la joie dans ce film. Mais est-ce un bon film ? Les critiques semblent dire le contraire, mais on est ici dans un cas particulier. Tout comme pour chaque oeuvre qui parle de politique de manière bien trop directe, très peu s'attardent sur le contenu et la forme. Qu'en dire ? Andrew Niccol est un excellent scénariste à l'ancienne, très formaliste. Son histoire est somme toute très classique, en dehors de l'originalité de son sujet ; et si sa mise en scène n'est pas toujours très avisée, il arrive cependant à retranscrire le renferment de Tommy et le côté déshumanisant des drones sans trop appuyer le trait. Par ailleurs, sa direction d'acteur est toujours excellente : Ethan Hawke, January "je suis la plus belle" Jones et Bruce Greenwood (Captain Pike! Woot woot!) sont particulièrement impressionnants.

Mais voilà, apparemment tout ça on s'en fout, ce qui compte c'est : est-ce que c'est bien les drones, est-ce que c'est mal ? J'ai quasiment envie de dire qu'on s'en fout, mais ce serait disproportionné. Le fait est que le film est indissociable de la réalité qu'il décrit, alors autant en dire un mot. Les détracteurs accusent tous Andrew Niccol de traiter le problème avec naïveté. Selon eux, le film se résume à montrer que les drones sont dangereux parce qu'ils transforment la réalité en jeu vidéo, que les conséquences réelles (la mort, encore et toujours, la mort et la destruction) disparaissent derrière l'écran et le silence qui accompagne chaque explosion... mais ce n'est pas le cas. Le film prend le point de vue d'un ancien pilote, qui aimait son travail car il devait protéger les troupes au sol. Depuis qu'il pilote un drone, il sert d'assassin balançant la foudre de Dieu sur les impies. Pour Tommy, la vie était plus simple lorsqu'il était pilote, parce que même s'il faisait la guerre, il pouvait se nourrir de l'illusion d'être un héros. Est-ce que cela est naïf ? Je ne le pense pas. 


Mais admettons, ok. Ce film est naïf. Andrew Niccol est naïf, il ne devrait pas traiter la question des drones de manière aussi simpliste. Ce à quoi je réponds : mais allez-y, montrez-moi d'autres réalisateurs américain qui osent s'attaquer à ce sujet de cette manière ! Au moins, il y en a un qui ouvre sa gueule. C'est comme à l'époque de Lord of War, il fallait oser présenter le gouvernement américain comme le plus gros vendeur d'armes au monde - et donc plus gros fournisseur de guerres par extension - et distribuer ça sur le marché local. Sans déconner, plutôt que de lui cracher à la gueule, je préfère saluer l'effort ; parce que quitte à avoir quelque chose à dire, autant le faire haut et fort et sans subtilités, histoire d'être bien entendu.

lundi 20 avril 2015

Je veux pas voir Avengers 2 !

Notons que le "je" de ce titre n'est pas le mien. Le nouveau blockbuster de super-héros réalisé par mon idole Joss Whedon, je cours le voir dès demain au Grand Rex, évidemment. Jsuis pas un ptit péteux moi, j'assume mes goûts et j'aime voir des héros hauts en couleur se taper avec des Pinocchio métalliques au nom de la justice et de d'autres trucs comme ça !

Mais comme chaque semaine, beaucoup de films sortent. Et oui, il n'y a pas que Marvel/Disney ! Du coup, je me propose de vous faire une liste de films qui ont l'air hyper cool qui sortent mercredi, en même temps qu'Avengers : Age of Ultron. Comme ça, si vous voulez faire votre cinéaste à contre-courant et vous la jouer en soirée, vous pourrez avoir la classe/passer pour un gros lourd en disant que pendant que les masses se ruent dans les cinémas pour voir le dernier produit calibré lavage de cerveau (note : que tous ceux qui disent ceci d'un film de Joss Whedon avec sérieux aient l'extrême obligeance de mettre leur figure dans mon poing), vous, vous êtes allés voir quelque chose d'autre ! Voilà la liste.

Broadway Therapy, de Peter Bogdanovich:

Une comédie romantique décalé sans prise de tête à l'ancienne par un cinéaste critique et poète qui a énormément inspiré des gens comme Wes Anderson, avec la délicieuse Imogen Poots dans le rôle principal. L'histoire de la rencontre entre une ex escort girl et un metteur en scène excentrique, et du raz de marée que leurs amours vont déverser sur ceux qui les entourent (femme, acteurs, dramaturges...). Le film me tente beaucoup !

Caprice, d'Emmanuel Mouret:

Un peu dans le même genre, comme si c'était une semaine hommage au cinéma hollywoodien des grands de l'amour léger, les Billy Wilder et surtout Ernst Lubitsch : Clément convoite une actrice, il couche avec une jeune fille (nommée Caprice, parce que la subtilité c'est pour les notaires) mais se retrouve facilement avec l'actrice. Triangle amoureux mais toujours dans la douceur, sans noirceur, c'est un film que j'attendais avec assez d'impatience.

Jauja, de Lisandro Alonso

LE film qui me tente le plus cette semaine en dehors d'Avengers. Lisandro Alonso est un réalisateur argentin qui n'en est pas à son coup d'essai mais qui signe son premier long-métrage avec des acteurs pro... dont un certain Viggo Mortensen, qui une fois n'est pas coutume montre à tout le monde que ce gros bâtard sait parler toutes les langues de la planète dont un danois que plus personne n'utilise à ce jour. Le film est un genre de western étrange filmé dans un format carré aux bords arrondis, parce que pourquoi pas. Et ça a l'air d'être de la bombe.

Good Kill, de Andrew Niccol

Andrew Niccol, c'est le type derrière Lord of War, The Truman Show, et d'autres films concepts sympas mais un peu raté comme In Time (Time Out en France). Il écrit et réalise ce nouveau projet, qui parle de la question des drones dans l'armée américaine, un sujet donc d'actualité et qui mérite d'être montré ET surtout qui a un sacré potentiel dramatique dans l'exploration de personnage. Cependant les critiques pour l'instant ne sont pas excellentes (sans être mauvaises cela dit), mais étant un grand fan de ce réalisateur, je suis certain de ne pas le rater.

Everything Will Be Fine, de Wim Wenders

Après son succès hallucinant avec son documentaire Le Sel de La Terre, co-réalisé avec Juliano Ribeiro Salgado, Wim Wenders revient à la fiction avec un genre de thriller où un auteur (James Franco) se nourrit d'un accident pour publier des histoires. On ne comprend pas vraiment ce qu'il s'y passe dans la bande-annonce, mais l'ambiance est étouffante, Charlotte Gainsbourg fait assez peur, et surtout l'image a l'air d'être très recherchée dans sa participation à la narration du film. On y voit notamment des sortes de zoom compensés très déroutants, d'autant plus que le film sera diffusé en 3D dans certaines salles. Comme ça vous pouvez vraiment vous la péter : vous allez voir un film en 3D la semaine d'Avengers, mais c'est un thriller américain indépendant réalisé par un allemand !

dimanche 19 avril 2015

Still Life (Une Belle Fin) : Ode à la douceur et la générosité

Pasolini a sorti un nouveau film ! Il n'est pas mort assassiné en 1975 ! Du coup le film sorti sur lui en janvier avec Willem Dafoe n'a aucun sens.

Ah non, en fait c'est un autre Pasolini. Rien à voir. Quelle idée il a eu aussi celui-là, de s'appeler Pasolini comme ça. Bref.

Une Belle Fin, ou Still Life en version originale (ce qui veut dire Nature Morte, et là vous comprendrez pourquoi la traduction littérale n'était pas possible, étant donné que les conceptions anglaises et françaises de ce style de peinture sont diamétralement opposés par le sens. L'une est une vie figée, l'autre est putain de morte), est un film indépendant britannique qui a été extrêmement bien reçu lors de nombreux festivals qui a le mérite de raconter une histoire plutôt originale.


Nous découvrons donc la vie de John May, fonctionnaire de son état, qui a pour travail de retrouver les proches des personnes décédés. Car oui, la vie souvent c'est triste, et beaucoup de personnes meurent sans avoir des proches pour s'en apercevoir. C'est alors le travail de John May de trouver les personnes les plus susceptibles de vouloir assister à l'enterrement, et marquer ainsi le respect des morts. Sauf que, dès les premières images du film nous le comprenons bien : qui se meurt seul, meurt seul. John May est le seul à accompagner les morts ; en fouillant bien, il découvre tout ce qu'il peut sur la vie des défunts et leur offre ainsi les funérailles les plus sincères qu'il peut imaginer.


Ouais... c'est pas joyeux. Mais c'est franchement beau. Ce film a du mérite pour une raison selon moi, c'est la cohérence de son propos et de la forme qui exprime ce propos : c'est le quotidien de John May qui nous est montré, et au risque d'être répétitif, lent et parfois chiant, au moins le résultat est authentique, sincère et du coup, touchant. Chaque plan représente le calme, l'ordre et les méthodes du héros. Très peu de mouvements, et une logique au service du sentiment. Tant et si bien que l'élément perturbateur n'arrive qu'après une demi-heure de film ; sur un long métrage de 85 minutes, c'est osé ! Et c'est surtout que le film aurait pu tomber dans des écueils narratifs et visuels très facilement, et ressembler de trop près à une oeuvre plein de bons sentiments mais sans maîtrise, dans le genre des Oscars-nominees wannabe qui sortent un peu tous les ans entre novembre et février.


C'est là que le film fait une erreur somme toute impardonnable à mes yeux, mais c'est un spoiler gigantesque donc je vais d'abord dire que c'est un beau film malgré tout, que son originalité et sa sincérité sont admirables, et qu'on lui pardonne volontiers d'être un peu chiant. Et maintenant je vais parler de la fin du film, donc si vous souhaitez le voir, arrêtez-vous là.


A la fin, il meurt. Ouiiii mais pourquoi tu lis encore là, je t'avais dit de ne pas lire pour pas te faire spoiler !! Et ben tu aurais dû m'écouter. Bref. A la fin, John May a réussi à faire venir onze personnes pour son dernier dossier (il vient d'être licencié, parce que son approche est révolue. Respecter les morts, on n'en a plus rien à battre dans son service), et il est heureux, très heureux. Il se fait percuter par un bus et il meurt. Ouais... Ouais. Mais il meurt heureux au moins. Et il n'y a personne à son enterrement, pendant que son dernier client se fait enterrer, entouré de ses proches. John May se fait enterrer dans la fosse commune, parce qu'il a donné son propre emplacement à son dernier client, justement. La fille du défunt jette un œil vers son cercueil un instant, puis s'en va. Et là... des fantômes sortent de tout le cimetière et viennent rendre hommage à John May. C'est pour moi une immense faute de goût digne du pire film guimauve, et une balle dans la tête de la sincérité qui parcourt le reste du film. C'est visuellement insensé compte tenu du reste du film, et surtout totalement inutile ! Déjà, le plan se suffisait à lui-même, mais pour insister il aurait suffit d'enchaîner des plans sur les tombes du cimetières, hop là effet Koulechov et on comprend bien que ptit John est bien entouré et que c'est effectivement, Une Belle Fin. Mais non, à la place on fait un truc dégueulasse.

C'était donc un nouvel épisode de "Renaud pense pouvoir mieux réaliser qu'un professionnel, parce qu'il a fumé un chimpanzé."

Dark Places : lieux communs dans la pénombre

Dark Places profite du succès de Gone Girl pour montrer le bout de son nez : en effet ce thriller est une autre adaptation d'un roman de Gillian Flynn, et la promotion le met très en avant. Le réalisateur et scénariste, un français, est en effet bien moins connu que David Fincher, donc pas moyen de banker dessus.


Et donc qu'en est-il de ce film ? Et bien, franchement pas grand chose. L'histoire a de quoi plaire pourtant ; un club de passionnés par les histoires de meurtres en tout genre contacte une femme dont toute la famille a été assassinée quand elle était encore enfant, 28 ans plus tôt. Selon eux, le puni (son grand frère. Oui c'est du Gillian Flynn, c'est du thriller policier, c'est forcément glauque) n'est pas coupable, et ils veulent faire ré-ouvrir l'affaire.


Le souci principal du film, c'est qu'il n'a aucun langage filmique. Aucun sens du rythme, aucune dynamique, un montage très brouillon lors des scènes d'action qui en perdent donc toute puissance évocatrice ou tout simplement explicative (c'est la moindre des choses de comprendre ce qui se passe), tout cela dessert totalement le matériau d'origine qui a vraiment de quoi plaire ! Le long-métrage est ainsi divisé en deux périodes, celle précédant le drame, et celle du présent ; mais elles sont totalement déséquilibrés, ce qui je l'avoue, contrairement à d'autres critiques, ne m'a pas déplu. Le poids des événements explique leur omniprésence, là où le présent n'existe presque pas dans la tête de l'héroïne. Mais c'est bien le seul élément de la réalisation qui a eu le moindre impact sur moi, malheureusement. 

Surtout qu'en plus, la distribution est légèrement abusée : Tye Sheridan (Tree of Life, Mud, Joe), futur Cyclope des X-Men, Christina Hendricks, Charlize Theron, Nicholas Hoult, Chloë-Grace Moretz... mais aucun n'a réellement le temps de briller. La caméra semble simplement posée là, histoire de montrer les faits mais sans jamais laisser le temps aux acteurs de faire exister leurs personnages et de nous transmettre des choses. Christina Hendricks joue ici le même rôle -quasiment- que dans Lost River, dont j'ai parlé en début de semaine, mais toute la puissance qu'elle avait dans le film de Gosling est introuvable ici. Seule Chloë-Grace Moretz parvient à tirer son épingle du jeu ; elle joue une fille de riche déglinguée qui profite de son statut social pour s'adonner aux pires abjections. Drogues, satanisme (j'y reviendrai), vol, j'en passe et des pires, et ses scènes sont les seules à paraître authentiques.

Et c'est vraiment dommage car le livre semble avoir un potentiel filmique assez remarquable ; on retrouve ici des thématiques familières, notamment celle de l'accusation à tort et de ses conséquences. Ici, le frère de l'héroïne est accusé de pédophilie et de satanisme (le danger des fausses accusations semble être la marotte de Gillian Flynn, et c'est tant mieux, le sujet est fascinant, terrifiant et inépuisable), mais l'atmosphère étouffante et dégueulasse de Gone Girl ne parvient jamais à s'installer ici. Même les doutes qui peuvent exister autour de la vérité ne nous saisissent vraiment jamais, et on s'ennuie à attendre la révélation qui est, inévitablement, convenue. Par faute de didactisme dans le script et la mise en scène ! De même, le club des détectives en herbe est carrément sous-exploité : le côté incroyablement glauque du principe même n'apparaît que deux minutes grand maximum au début du film, et quel gâchis !


Dark Places est pour moi une film extrêmement frustrant ; si je sors de la salle en me disant "hé bien j'aurais sans doute mieux fait de lire le livre", je n'ai pas vécu une bonne expérience de cinéma.

vendredi 17 avril 2015

Le Teaser de Star Wars : Parce que oui.


J'ai toujours considéré que les bandes-annonces sont une forme d'art à part entière, et si vous voulez en savoir un peu plus ce que je pense à ce sujet, je vous recommande cet article d'une amie à moi. Ma position est globalement la même. Réussir à recréer un ton, une atmosphère à partir de quelques images, ou même mentir et faire d'une oeuvre médiocre un produit très court ultra alléchant, ça demande un certain talent. Tout ça pour dire : le nouveau teaser trailer du prochain film de Star Wars, réalisé par JJ "Trek Wars" Abrams, déchire son hippogriffe sous amphétamines qui sont elles-mêmes sous amphétamines.


Etant enfant je n'avais que quelques cassettes vidéos (avant l'ère de l'Internet, comme tout le monde globalement) et je me souviens très bien de la majorité des bande-annonces qui étaient insérées au début de celles-ci. Notamment de l'une d'entre elles, qui présentait la ressortie en version remastérisée de la trilogie "originale" de Star Wars (je précise entre guillemets car à l'époque, la prélogie n'existait pas encore). Ce sont les premières images de la saga que j'ai pu voir, et je me souviens les avoir regardé encore et encore et encore et encore et encore ET ENCORE ET ENCORE ET ENCORE en attendant de pouvoir voir un de ces films au cinéma.


Car Le Retour du Jedi est ressorti au cinéma à ce moment, en mars 1997 (j'avais 6 ans) pour un premier remaster (celui sur lequel pas grand monde ne crache, parce qu'il est franchement assez bien), et je me souviendrai toujours de cette expérience. Les héros, si peu nombreux face aux hommes de Jabba et menacés par le Sarlacc, dans ce désert impitoyable... et pourtant si confiants. Cette impression de gigantisme à la découvert de l'Etoile de la Mort. Star Wars est pour moi, et pour des millions d'autres personnes, une source d'émerveillement, un spectacle au sens le plus grandiose du terme... et c'est ce que je retrouve dans les images du prochain film qui sont sorties hier.


Je souhaite donc simplement parler de l'image ci-dessus ; il s'agit du premier plan, qui fait écho au premier plan du teaser sorti à la fin de l'année 2014 au sens où il s'agit d'une apparition. Dans le premier, le plan est fixe et c'est John Boyega qui surgit dans le cadre, envahit l'écran, non allez je le dis, crève l'écran tellement il est gigantesque et proche de nous, surtout comparé aux dunes au loin. Déjà tout est dit : Star Wars, c'est ça. Des personnages gigantesques, qui nous font rêver, dans des mondes d'un autre gigantisme, littéral. Le début de ce teaser est encore plus fort ; d'abord ce sont les dunes encore, puis on distingue une petite chose qui se déplace ; une sorte de speeder au loin. Puis... au loin, un PUTAIN de Star Destroyer écrasé, révélé par un pan de caméra très lent. Le hors champ devient champ, et l'oeil commence à comprendre la puissance de ce qu'il est en train de voir ; c'est tout con, mais c'est sublime (sublime burkéen, évidemment, parce que je me la pète avec mes mots compliqués), et histoire d'enfoncer le clou dans ta gueule en chantant le générique d'introduction (TATATA TAAA TAAA TATATA TAAAA TAAA), on rajoute un vieux X-Wing en miettes, au "premier plan". Le jeu sur les échelles est parfait, on a du minuscule, de l'immense et terrifiant, de l'intrigant, du mystérieux. C'est un grand retour aux paysages épiques et aux films d'aventures qui ont inspiré le premier film de la saga de 1977 ; un retour à John Ford, à David Lean... mais à la sauce JJ Abrams. C'est Star Wars. C'est la machine à rêves la plus littérale et directe qui soit, et de la bonne manière : avec sincérité.

Taxi Téhéran : Tout est de la faute de Jafar

Il n'y a qu'avec l'art que l'on peut se prendre une grosse claque dans la gueule et lâcher des larmes de joie. Tous les grands critiques français, des magazines spécialisés ou non, ont déjà fait l'éloge de ce film merveilleux de Jafar Pahani, réalisateur iranien à la vie complexe et bien morose, et c'est pourquoi mes deux trois mots n'ajouteront pas grand chose en dehors de mon amour total pour cette oeuvre et cet homme. Du coup, je me contenterai de contextualiser pour ceux qui n'auraient pas suivi le schmilblick, puis d'illustrer quelques passages.


Jafar Pahani est un réalisateur iranien qui jouit d'une popularité gigantesque auprès de tout le monde excepté du gouvernement de son pays, qui l'a interdit de faire des films. Littéralement, c'est pas une blague, c'est pas une parabole, c'est la vraie vie ; l'Iran est un pays où faire un film peut t'envoyer en prison. Et oui, Pahani y est passé... et il en est sorti. Et il continue de faire des films, clandestinement, et les distribue à l'international (ce qui n'a somme toute pas une importance capitale, en dehors de se faire s'extasier les gens comme moi, et ceux qui votent à Venise... oui parce que Taxi Téhéran a eu l'Ours d'or cette année), de façon assez spectaculaire : par exemple son premier film depuis son interdiction, est un documentaire intitulé This Is Not A Film qui suit en gros, sa galère, et ce documentaire a été envoyé à Cannes en secret. C'est-à-dire que le film a été caché dans un gâteau, sur une clé USB. Ouais. On en est là.

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Son dernier film en date, Taxi Téhéran, est aussi une production clandestine ; elle met en scène Jafar Pahani, qui se fait passer pour un chauffeur de taxi. Cela lui permet ainsi de présenter la société iranienne à travers différents portraits des personnages qui montent dans son véhicule ; la grande particularité du film est qu'il est tout à fait conscient de sa nature hybride et inattendue. En effet, si tout est écrit et scripté, Pahani parle de sa vie, de son interdiction, du fait qu'il tourne un film en clandestin... après la première scène du film, un passager monte en voiture et dit à Pahani "hé je vous ai reconnu ! Les deux d'avant là, c'était des acteurs hein ? Je le sais parce que la dernière réplique du type vient de votre film Sang et Or !". Et le résultat final est grandiose, déborde d'amour, de compassion pour le peuple iranien, et de tristesse. Ce jeu constant entre ce qui est mis en scène et ce qui est authentique pourrait être artificiel mais au contraire fonctionne à merveille.


Les plus belles séquences du film sont celles où Pahani conduit sa nièce, qui doit réaliser un court-métrage pour son école en respectant les codes des films "diffusables" en Iran (en vrac:  ne pas parler de politique ou d'économie, les héros n'ont pas de noms persans, on préférera choisir les noms des prophètes, ils ne portent pas de cravates ou de costumes, ne pas montrer de violence ou de choses "immorales", les femmes doivent être voilées et ne jamais toucher les hommes...). Les codes, selon l'enfant, sont compliquées à comprendre car selon son institutrice, il faut les respecter pour représenter la vraie vie, mais elle-même a filmé une dispute entre un couple qui en est venu aux mains, et c'est une scène réelle, mais non diffusable. Je ne veux pas spoiler, mais la scène où elle tente de filmer un enfant dans la rue et deux nouveaux mariés est tout simplement renversante.


Enfin, un mot sur la question du piratage, qui est présentée dans le film ; dans nos sociétés, on peut difficilement se sentir héroïque lorsque l'on télécharge un film illégalement sur tel ou tel site. Après tout cela reste du vol... mais en Iran (et en Corée du Nord, et sans doute ailleurs), il existe tout un réseau qui distribue sous le manteau des films qui n'ont pas le droit d'être distribués. Et c'est grâce à cela que les films de Jafar Pahani sont d'après certaines sources vus de tous ou presque en Iran, et peut-être la meilleure preuve d'un écart grandissant et terrible entre une population jeune qui rêve de liberté et un gouvernement autoritaire, anachronique et désolant.
 

mardi 14 avril 2015

Lost River : A la surface de la plastique insondée

Attention, ce film n'est pas un documentaire sur les tourments de Joaquin Phoenix, après la perte de son frère River mort trop jeune.


Non non non, Lost River, c'est le premier essai derrière la caméra de Ryan Gosling, cet acteur tellement beau que ça fait mal et qui a su s'émanciper de sa bogossitude depuis 2010 en enchaînant des rôles avec quelques un des grands du cinéma d'auteur contemporain : notamment Nicholas Winding Refn, Terrence Malick et Derek Cianfrance. Et pourquoi je mentionne ces réalisateurs ? Parce qu'on les sent tellement forts dans Lost River qu'ils semblent être tombés dans le fumier avec Biff Tannen.

Lost River est en effet un concentré bien trop dense de toutes les influences visuelles, sonores, poétiques et narratives de Ryan Gosling ; il s'y passe bien trop de choses, on y voit bien trop de trouvailles dans sa petite heure trente cinq et ce sans jamais trouver un équilibre... de quoi ça parle, déjà ? Et bien du fait que Detroit c'est vraiment de la merde. Enfin, pas vraiment, mais c'est tourné là-bas. Donc, plus sérieusement : une mère et ses deux enfants (un ado/jeune et un tout petit), dans une maison en ruines, dans une ville en ruines. Envahie par la broussaille, et les marécages. Pas d'argent. Un caïd, psychopathe intenable et insensé qui règne sur le chaos. Un autre caïd, qui gouverne les perversions obscènes et malsaines des riches de la ville, dans un club où des jolies actrices se saignent à blancs (pour de faux) et se vident de leurs âmes (pour de vrai). La mère doit travailler dans le club pour donner une vie à ses enfants, son fils aîné vend du cuivre volé pour aider sa mère et se fait poursuivre par le caïd, et vit une histoire d'amour avec sa voisine un peu paumée, voisine qui vit avec sa grand-mère muette depuis la mort de son mari, et muée en Miss Havisham sans classe, juste pathétique. Rajoutez encore à cela l'histoire d'une ville engloutie par le lac artificiel, et vous comprenez bien que Lost River est dense comme... quelque chose de très dense. Genre un brouillard bien épais.

Et c'est dommage car le film est plein de bonnes choses. Les acteurs sont particulièrement bons, ce qui n'est pas rare lorsque le réalisateur en est un également (cf. les performances dans les films de Eastwood ou Woody Allen, Lubitsch, Ben Affleck...) : je pense tout particulièrement à Christina Hendricks, qui n'avait pas besoin de prouver sa capacité à jouer la mère célibataire au bord du désespoir et dégoûtée de son existence corporelle vu qu'elle le fait (faisait, bientôt... snif) dans Mad Men mais qui est tout de même époustouflante, et à Matt Smith qui transforme la folie enfantine et enchanteresse du Docteur en folie démente et démoniaque à la Orange Mécanique

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Mais à cause de cette accumulation d'idées, de trouvailles visuelles (souvent géniales, rendons à papier-peint-de-Refn ce qui est à papier-peint-de-Refn), il est impossible pour le spectateur de plonger suffisamment longtemps dans l'oeuvre pour s'en imprégner. Tout comme le fils de Christina Hendricks lors de son exploration du lac, on reste surtout en surface, sans assez explorer les abysses. C'est ce manque de cohérence visuelle, ce trop-plein qui nuit au film et donne l'impression que Gosling n'a fait que copier les maîtres sans parvenir à dépasser la plastique d'un David Lynch, d'un Malick ou d'un Refn... pour atteindre la substantifique moelle, c'est-à-dire ce que la plastique vient sublimer. Avec Lost River, Ryan Gosling se rapproche même plus des clippeurs british des années 80, la bande d'Alan Parker (The Wall, Angel Heart...) mais ne parviens pas à retrouver la cohésion de leurs oeuvres. Du coup, le patchwork tombe un peu en morceaux.

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Alors, on s'attarde sur des moments d'entre-deux, des égarements, des accidents ; des petits bouts de scènes des fragments volés s'échappent et par moments on trouve des instants de grâce qui montre tout de même que le film n'est pas entièrement vain. C'est la jeune fille qui chante, tandis que sa grand-mère regarde la vidéo de son mariage. C'est la mère qui s'échappe dans un couloir monochrome aux murs renversés, ce sont les lampadaires qui dépassent du lac qui soudain s'allument, ou encore les apparitions de l'horreur symbolisées par le second du caïd, Face, dont le visage mutilé terrifiant m'a rappelé que je n'avais aucune envie de voir un jour le Joker de Scott Snyder dans un film. 

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Je ne pourrais pas dire que Lost River est un mauvais film, car il a le mérite d'avoir essayé de dépasser l'image pour atteindre le fantasme de la métaphysique de l'image, de faire déborder ses motifs et d'envahir l'histoire jusqu'à la réduire au néant ; même si le film n'ose jamais réellement aller jusque là, ses rares tentatives sont louables et ont le mérite de nous faire passer un bon moment.

jeudi 9 avril 2015

Fast and Furious 7 : Faste et Futile.

En sortant du cinéma, une question me taraude l'esprit. Ou plutôt, une question me roule dessus avec les chenilles en adamantium d'un tank nucléaire : mais POURQUOI est-ce que j'ai voulu voir ce film ? C'est le septième volet de la "saga", et depuis le tout premier je n'en ai apprécié AUCUN depuis le numéro 2... Alors pourquoi diable et diablotins ai-je voulu voir Furious 7 ? Parce que comme toujours depuis que le quatrième volet est sorti, je me suis laissé séduire par tous les nerds qui parlent du film comme un divertissement pur, absolument jouissif... Dan de The Nerdist a même été jusqu'à dire qu'il pourrait être le film de super-héros de l'année. Oui parce que depuis le 4 c'est des super-héros les mecs, oui oui, ils sautent de voitures sur la route à 150 km/h, se prennent des balles dans toutes les côtes sans grincer des dents, et se battent même contre des méchants britanniques (l'Angleterre, fournisseur officiel de méchant à accent à succès depuis 15 ans).


Seulement voilà, pendant que tout le monde s'extasie, je le crie haut et fort : ces films, c'est de la grosse merde. Comme ça c'est dit, je l'assume et tout le monde est content. Allez je vais même aller plus loin dans la provocation, mais le fait est que je le pense tout à fait : je préfère cent fois voir un film de Michael Bay que ça. Et vous savez pourquoi ? Parce qu'au moins les acteurs sont bons dans leur style chez Monsieur explosion-nichons. Michael Bay sait diriger une forme de surjeu qui sied si bien à son style, et la majorité de ses œuvres ont beau être criblés de défauts telle une voiture criblée de balles, elles fonctionnent tout de mêmes, telles les voitures criblées de balles de Fast and Furious. Justin Lin, et désormais James Wan, n'ont pas cette maîtrise, et en même temps vu la pauvreté affligeante des répliques à deux crottes de moineaux que balancent les costauds pendant tout le film, c'est difficile d'en tirer quelque chose... mais pas tant que ça ! Elles suintent tellement le script badass écrit par un gosse de 14 ans que pour s'en dépêtrer il faudrait essayer de varier le ton un peu, jouer sur l'autodérision. Dans le film, tout comme dans les trois précédents, il n'y a que deux manières de s'exprimer : en voulant être drôle mais sans aucun sens du rythme comique ou de l'intonation, ou en voulant être un gros dur et donc en s'exprimant lentement et avec emphase pour bien appuyer chaque mot stupide que l'on dit. Non, franchement si je vous dis que le meilleur acteur de Furious 7, c'est Kurt Russel, est-ce que ça vous donne envie de le voir... ?


Et ça n'a pas toujours été le cas. Pendant que tout le monde s'extasie sur une saga d'action qui est devenue du Mission Impossible bas de gamme, avec une grosse touche d'Expendables sans second degré aucun, tout le monde a l'air d'oublier qu'autrefois, en des temps révolus, il existait un film nommé The Fast and The Furious, et qu'il était bien. Qu'il avait été assez malin pour transposer dans un monde alors inconnu au cinéma (les courses de voitures illégales) une histoire que tout le monde connaît : le gentil héros infiltre un monde nouveau, se fait passer pour l'un des leur, découvre qu'en fait il s'y plait bien et ne sait pas comment ne pas les trahir. Ajoutez à ça un soupçon de "en fait c'est pas des gros méchants" à la Le Dernier Roi d'Ecosse avec évidemment le passage de la désillusion jusqu'à l'affrontement final et on obtient... Point Break mais avec des voitures. C'était un bon film de genre, le scénario tenait la route (haha), ça suintait l'amour des bagnoles, les acteurs se donnaient à fond et ça faisait rêver les gosses.

Hop on prend une prolepse inter-dimensionnelle et on arrive en 2015 ; Fast and Furious ne parle plus de voiture, mais d'une bande de potes surhumains qui aident des agences secrètes à lutter contre des criminels... en conduisant des caisses. Histoire de rester un minimum raccord avec la passion originelle des personnages... mais vraiment un minimum hein. D'ailleurs ce n'est pas pour rien que le film s'appelle Furious 7 en VO : clairement la franchise a changé d'orientation et rentre dans le moule des blockbusters tout calibrés tout lisses tout beaux tout propres, plutôt que de garder son originalité d'antan. Et pourquoi pas, vu que ça marche ?


Alors voilà, je déteste ces films, mais vu que tout le monde ne cesse de les encenser (allez juste pour vous faire partager ma douleur : le dernier film est actuellement à 8,1/10 sur IMBD, ce qui le place au dessus de, en vrac : Twelve Monkeys, Terminator, Les Dents de La mer, Monstres et Compagnie, Rocky, Barry Lyndon, Jurassic Park, Kingsman, La Belle et la Bête...), je me fais avoir. Et je pourrais m'arrêter là et dire que je déteste ces films, sans aller plus loin et passer à autre chose, mais non, parce que leur succès me dérange. Parce qu'un film transmet une vision du monde, des conceptions plus ou moins maîtrisées/conscientes, et que ce qu'émet un film comme Furious 7 me débecte au plus haut point. Le scénario débile et incohérent passe encore, mais ça... non.


Parce qu'au fond, qui va voir ce film ? Pas besoin de poser la question, je connais déjà la réponse, son public je le vois tous les jours. Ce sont des jeunes garçons, qui veulent voir des mecs trop classes conduire des grosses bagnoles et se taper des belles meufs, et c'est exactement ce qu'ils voient... et quel mal à cela ? Peut-être aucun, mais il y a réellement quelque chose qui me retourne l'estomac là-dedans. Car ces rebelles qui plaisent tant aux spectateurs, ce ne sont finalement que des fantasmes républicains (au sens du parti républicain américain, pas d'autre chose hein...) : des vigilantes qui sont plus forts que le gouvernement et la police, qui obéissent à leurs propres codes et valeurs morales, qui tiennent avant toute chose à la famille dans son système le plus patriarcal ... et puis bien sûr il y a les voitures. L'automobile, le symbole de la puissance américaine, celle de la grande et belle ville de Détroit ! Heu, enfin, vous me comprenez.


Et franchement, si ça en restait là, sans enfoncer le clou moi jveux bien ! Mais quand tu as des scènes où la femme de Paul Walker (enfin, Brian machin truc) dit à son frère (Vin Diesel, Toretto) qu'elle est de nouveau enceinte mais n'ose pas le dire à son mari parce qu'elle a peur de l'enfermer dans la vie de couple alors qu'il a ses potes avec qui il peut boire des bières et conduire des voitures... jsuis désolé mais ça fait un peu le fantasme du mec marié qui veut sa femme lui lâche la grappe quoi. Pour qu'il puisse aller mater des femmes objets qui se pavane... sans déconner, je reviens sur Michael Bay un instant, mais même lui n'y va pas aussi fort. On a quand même Nathalie Emmanuel qui dans le film joue une génie de l'informatique qui a mis en place un programme de renseignement similaire à ceux de la NSA (regardez Citizen Four), et qui n'a même pas droit à un minimum de character development, non non non à la place on va faire un plan au ralenti d'elle en maillot de bain à la plage. Et ouiii bien sûr elle est absolument sublime, tout ceux qui ont vu la saison 4 de Game of Thrones sont déjà au courant,  mais je sais pas donnez-lui un peu plus que ça, surtout que c'est elle et Michelle Rodriguez qui sont les rôles féminins principaux, et ça reste assez pitoyables, alors je ne parle même pas de toutes les autres qui sont vraiment traitées comme des objets... et oui, quand c'est fait sans second degré et d'une certaine manière, moi ça me débecte. N'est pas Robert Rodriguez qui veut, voilà. Et bien sûr, comment ne pas m'attarder enfin sur ce fameux programme de renseignement dont je parlais un peu plus tôt : cela permet ici au film de transmettre l'idée qu'un tel système permet d'arrêter Ben Laden en quelques heures, et également d'envoyer une petite pique au gouvernement en mode "malheureusement le président ne veut pas l'utiliser". Alors newsflash mon coco du Tea Party, ton président est bien plus axé Patriot Act que tu ne sembles le comprendre, il utilise déjà des systèmes de la sorte, non ils ne sont pas UNIQUEMENT dangereux quand ils tombent entre de mauvaises mains (et mauvaises mains, c'est déjà un concept assez absurde), et surtout, NON ils ne permettent pas de trouver des criminels en trente secondes chrono. Sorry Furious 7, mais parfois la faim ne justifie pas les moyens et là c'est l'indigestion.


Vous notez comment cette dernière phrase est débile ? C'est toutes les répliques du film qui sont comme ça ! Toutes ! Toutes ! Bordel de merde.

Sinon, y a deux cascades plutôt gigantesques, et l'hommage à Paul Walker, à la fin du film, bien qu'extrêmement maladroit et un peu... mal venu, m'a tout de même ému. Voilà.

mardi 7 avril 2015

Cendrillon : l'authenticité de la tête aux souliers

Ha, Cendrillon. J'y suis allé en traînant les pieds et à reculons, car ni le concept ni la bande-annonce ne m'avait donner la moindre envie de voir cette adaptation live du célèbre conte. Et bien j'avais tort ! Tous les amis qui me l'ont recommandé avaient raison, c'est un beau film !


Un petit mot avant tout sur le court-métrage de Frozen/La Reine des Neiges qui précède le film : très mignon, sympatoche, mais sans enjeux. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que si qu'à chaque fois qu'Elsa éternue, elle créé une créature pensante, ça peut devenir très vite compliqué à gérer comme population... mais ce sont des considérations morales qui n'ont rien à faire dans un Disney. Malheureusement ? Heureusement ?


Déjà, il faut dire que le dessin animé de Cendrillon n'a jamais été mon préféré, ne serait-ce parce que j'ai toujours préféré quand il y avait un réel enjeu à la clé, et non une histoire très "minimaliste" comme celle-ci. Dans Pocahontas, une guerre oppose deux peuples, dans Le Roi Lion tout un royaume est menacé, les morts ne sont pas tragiques mais horribles car intentionnelles, sans parler de Mulan... et pourtant à côté de cela, j'ai tout de même toujours apprécié ceux dont l'histoire me fascinait moi, grâce à leurs qualités artistiques. Le Livre de la Jungle en premier lieu, mais aussi Bambi, la Belle au Bois Dormant et donc Cendrillon, sont des réussites qui font le firmament de ce qu'était Disney (oui, "était", parce que fuck l'animation 3D. Enfin, pas vraiment, mais fuck la disparition de l'animation 2D chez Disney).


Mais Kenneth Brannagh, que certains connaissent comme Gilderoy Lockhart, que beaucoup respectent pour ses adaptations de William Shakespeare (quatre au compteur, dont une merveilleuse adaptation d'Hamlet) et sa superbe retranscription du Frankenstein de Mary Shelley, est là. Et à partir d'un script extrêmement efficace, le réalisateur et acteur britannique offre la touche d'enchantement nécessaire à un film de la sorte. Lily James est superbe en Cendrillon (petit fuck-up des sous-titres : si la voix-off appelle Cendrillon "Ella", c'est parce que c'est le diminutif de Cinderella, mais en français les coco ça ne passe pas du tout...), et elle est surtout plus développée qu'à l'accoutumée. Elle est intelligente et a des valeurs claires, ses relations précoces avec sa mère (Hayley "Agent Carter" Atwell) et son père (Ben Chaplin) sont bien développées. Le prince, Richard "I am the most gorgeous man on the planet step aside bitches" Madden est aussi un réel personnage à part entière, qui reconnaît en Cendrillon des valeurs qu'il partage. Leur histoire d'amour est d'autant plus belle qu'elle est rendue, à l'image, totalement compréhensible et par extension touchante, notamment dans la manière dont les deux aimants se reconnaissent dans leur attachement à leurs pères.


Les personnages secondaires ne sont pas non plus en reste, et je ne mentionnerai que rapidement la génialitude du chef de la garde du palais, qui est globalement le BFF du prince Robb Stark Kit Harrington Kit, et la maîtrise sans faute de papa Skarsgård, pour me concentrer sur la belle-mère de Cendrillon. Interprété par Cate Blanchett, elle aussi se retrouve affublée d'une réelle personnalité et de raisons d'agir qui sont montrées à l'écran avec habileté par le montage. Après avoir perdu son premier mari, qu'elle aimait tendrement, il est clair qu'épouser un autre homme pour le devoir, homme qui a aucun moment n'a tenté de lui témoigner de l'affection ou de cesser de parler de sa défunte femme, avait de quoi la rendre amère. Sans parler de le perdre lui aussi...


Enchanteur est le mot qui résumerait le mieux cette adaptation de Cendrillon, et c'est un quasi sans faute (la séquence d'Helena Bonham Carter est un peu construite sur un faux rythme, mais c'est vraiment pour chercher la petite bête), ce qui permet de rappeler à tout le monde encore une fois que Kenneth Brannagh est un putain de metteur en scène et technicien qui maîtrise exactement ses propos et leurs formes. Au final, il est assez amusant de voir que le film est immensément supérieur à Maléfique, qui jouait la carte de l'originalité à tout prix en surfant sur la vague Wicked, et à l'interprétation filmique ratée d'Into The Woods, qui offrait pourtant une version intéressante de Cendrillon et du Prince. Quand on est bon, il n'est pas nécessaire d'aller chercher à être à tout prix original ; parvenir à être authentique et sincère est déjà bien assez difficile.