mercredi 12 mars 2014

Regards et Nudités : la jeune fille observée chez Ozon et Kubrick

 En août 2013, François Ozon apporte Jeune et Jolie aux écrans français, petite sœur de cœur des Heavenly Creatures, Virgin Suicides ou encore Pauline à la plage, c'est-à-dire des films sur la découverte de l'amour et de la sexualité par les jeunes filles. Loin de proposer un manifeste sur la prostitution, de la glorifier ou la mettre en cause, Ozon met en scène la sensualité d'Isabelle (Marine Vatch) et interroge l'effet qu'elle produit sur son entourage. Au vu des ressemblances thématiques évidentes, le parallèle avec l'adaptation de Lolita de Stanley Kubrick est à la fois intéressant et inévitable. Lolita et Isabelle ont le même âge – à deux époques différentes cependant -, sont d'une beauté soulignée par le dialogue et l'image. Leurs entourages ont leur parenté également : père absent, une mère mal comprise et avec qui la relation mêle amour et jalousie.

Pourquoi alors cette séduction permanente, ce jeu, cette offrande du corps ? Libre au spectateur de construire ses hypothèses, puisque les raisons ne sont jamais claire. Est-ce l'ennui, ou l'envie de mettre à l'épreuve un corps désiré ? Dans les deux cas, la situation finale n'a pas d'incidence sur le mystère : Lolita est mariée est enceinte, Isabelle retourne à des amourettes de lycée, et le poids du passé, si présent dans l'esprit du spectateur, est absent à l'écran. Les cinéastes restent tous deux allusifs, préférant aux raisons les conséquences. Il faut voir les jeunes filles comme « révélatrices du monde adulte » : Lolita se voit interdite de participer à une soirée, tandis que les Farllow parlent d'échangisme sans complexe. Chez Ozon, la mère est ravie de voir sa fille se rendre à une fête entre lycéens, mettant en lumière l'absurdité d'une société qui permet et encourage certains types d'excès – comme la boisson – et en interdit d'autres.

Et si elles sont révélatrices, c'est bien parce que le motif du regard orne les deux œuvres ; Le petit frère d'Isabelle, enfant et voyeur qui observe sa sœur avec des jumelles est l'existant dans le cadre du spectateur, comme l'explique Ozon dans l'Avant Scène Cinéma de septembre 2013. Il est relégué au rang d'observateur distant, incapable de percer le mystère. Le regard extérieur a cette force destructrice de jugement, d'étiquette, de classement ; Ozon construit donc son film sur plusieurs subjectivités allant vers une objectivité dans la nature d'objet sexuel d'Isabelle, c'est-à-dire dénuée de tout jugement. C'est une étude sur quatre saisons d'un comportement, sans conclusions aucune.

Chez Kubrick, Lolita est regardée à travers la subjectivité d'Humbert, qui essaye de posséder cette vision, de garder Lolita pour lui seul. La jeune fille est aimée pour l'image qu'elle renvoie et non pour ce qu'elle est vraiment : «J'étais tombé sous le charme de Lolita pour toujours ; mais je savais qu'elle ne serait pas pour toujours Lolita ». Dans le film, l'obsession dont Lolita sera l'objet est préfigurée par une ellipse spatiale qui l'introduit et l'impose à l'esprit d'Humbert et à celui du spectateur. La principale différence entre les deux films, c'est justement le positionnement de ce regard : le spectateur accompagne Humbert tandis qu'Isabelle échappe à tous les regards qui tentent de la posséder.


Deux peintures, deux époques, deux découvertes du pouvoir de la séduction par des jeunes filles ; le sujet mérite la réflexion et fait toujours parler : Lolita a dû se jouer de la censure, et bien des décennies après Jeune et Jolie a eu droit à son petit scandale, prouvant bien que ce sujet a encore de quoi délier les langues.

Ecrit par Louisa Fourage.

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