jeudi 19 mars 2015

Big Eyes : le retour aux sources de Tim Burton

Déjà, commençons par être honnête : je n'ai jamais été un fan de Tim Burton. Et je ne fais pas de litote ici, cela ne veut pas dire que je déteste son cinéma, cela veut simplement dire ce que les mots présentent, Tim Burton ne fait pas partie de mes coups de cœur, de mes génies adorés. J'ai adoré son livre d'entretiens avec Mark Salisbury, et je suis terriblement attaché à Beetlejuice, ses deux Batman, et à Frankenweenie (le court et le long). Il le dit lui même, il ne s'intéresse que rarement à l'histoire dans une oeuvre filmique, lui s'intéresse bien plus aux visuels, ce qui le rend fascinant d'un point de vue esthétique (l'exposition à la cinémathèque lui étant consacrée était magistrale) mais toujours un peu décevant pour moi, simplement parce que pour des questions de goûts, je préfère les histoires au reste. Pour autant, Tim Burton a des qualités indéniables au delà de ses talents d'esthète, et c'est grâce à des films comme Big Eyes que cela transparaît.


Le film: biopic ou pas biopic?

Big Eyes marque le retour de Burton au biopic, avec les scénaristes qui ont justement lancé la mode des histoires vraies sur des personnes "non exceptionnelles", avec Ed Wood, toujours par Burton. On y découvre donc l'histoire de Margaret Keane, artiste exploitée par son mari pour vendre son art et fonder un empire commercial basé sur la notion de la copie (coucou Andy Warhol).
Et il est vrai que je n'ai jamais été ultra fan des biopic, ça me saoule de plus en plus à vrai dire. Et pourtant ce film m'a plu. Non, j'ai même adoré ce film ! Tout simplement parce que j'ai réussi à me plonger dedans et voir cela comme une histoire qui m'était racontée, et pas du tout comme un moyen d'assouvir un désir pervers documentaire. Le script est d'ailleurs très bon de ce point de vue là, puisque les événements réels ne sont jamais rien d'autres que des prétextes pour développer soit des scènes entre personnages, ou des commentaires sur la question de la commercialisation de l'art, et sur le notion de goût en matière d'esthétique. Ces commentaires sont absolument délicieux par ailleurs, et sont illustrés par un Terrence Stamp magistral en critique d'art révolté par les toiles de Keane.



L'univers Burtonien au placard :
Hé, j'ai fait une blague en référence au documentaire Waking Sleeping Beauty ! Wouhou ! Heu bref. Tim Burton a toujours confronté deux univers à différents degrés dans sa carrière, pour des raisons purement personnelles : d'un côté on trouve son imaginaire tordu et déjanté, nourri d'Edgar Allan Poe et de Margaret Keane (ben oui, et c'est bien pour cela qu'on sent que le projet lui tient à coeur), et de l'autre l'Amérique pavillonnaire dans laquelle il a grandi. La rencontre entre les deux, le monde coloré des publicités à la Mad Men et les cimetières abandonnés, s'étend sur la majorité de sa filmographie, de Beetlejuice à Edward Scissorhands jusqu'aux plus récents Dark Shadows et Frankenweenie... mais cette fois, les couleurs pastels envahissent l'écran au détriment du reste. Et c'est bien normal, il s'agit d'un retour aux sources : avant Margaret Keane, il n'y a pas de Tim Burton. Alors la fantasmagorie est cantonnée aux toiles, ou presque. Car au milieu des lumières et rouges et jaunes et bleues et arc-en-ciel délectables se cache une actrice, qui n'apparaît que dans quelques scènes mais resplendit comme une égérie burtonienne parfaite, à l'image de Winona Ryder avant elle, Krysten Ritter. Connue pour son rôle tragique dans Breaking Bad et sa diabolique duplicité dans Don't trust the B... in appartment 23, elle se trouve parfaitement à sa place ici ; corps élancé, tenues sombres et travaillées, cheveux tourbillonnants et air macabre amusé... on en veut plus ! Mais là n'est pas le sujet de ce film.

Un esthète de la mise en scène:

Une fois que le côté flashy, le bling bling de Burton disparaît (cela en même temps que son public malheureusement; le film a fait un flop absolument gigantesque aux Etats-Unis, de quoi décourager toute tentative pour lui de s'éloigner de son image de marque...  ce qui fait directement et tristement écho à Margaret Keane et sa prison de toiles, scrutée sans cesse par des grands yeux qui lui ont un jour appartenu), ses autres talents apparaissent au grand jour, pour faire une métaphore bien ringarde. Et Burton EXCELLE sa maman en cardigan pour tout ce qui touche à la mise en scène. Bien cadrer une image, mettre en valeur un geste, un déplacement ici ou là, ou bien le garder en retrait pour mieux l'amener au fur et à mesure des scènes... sa maîtrise est indéniable et c'est un véritable plaisir de pouvoir observer un film aussi bien codifié, notamment dans le genre du biopic qui n'a que très rarement des choses à dire dans son langage visuel. Il est difficile de ne pas jubiler quand on passe d'un scène où Monsieur Keane décide de faire payer pour les posters et ouvrir un autel à la gloire de la copie, à une scène de Margaret dans un supermarché, face à des centaines de canettes toutes identiques, juste à côté d'un présentoir de produits dérivés basés sur ses peintures. Autre exemple, la répétition du cadrage renfermant Margaret au premier plan à droite, avec sa fille au second plan à gauche, au moins cinq fois dans le film ; c'est d'abord leur cocon, dans la voiture qui est leur seul refuge quand dans la première scène Margaret quitte son premier mari, c'est enfin leur force quand elles se retrouvent protégées par le tribunal à Honolulu.


Puppet master : Burton et les acteurs

Et c'est là sans doute son talent le plus rarement apprécié (mais je peux me tromper ! Je ne suis pas dans la tête de tout le monde. Sinon, la planète entière serait en train de fredonner "The Schmuel Song" de The Last Five Years), Burton sait diriger ses acteurs et en tirer le meilleur. Cela va de pair avec sa maîtrise de la mise en scène bien évidemment, pour tout ce qui concerne les déplacements et autres gestes, mais il parvient à trouver le ton juste. Bon, avec Amy Adams ce n'est vraiment plus surprenant parce qu'elle est toujours exceptionnelle, mais les acteurs enfants sont justes dans le film, et ça c'est un sacré challenge ! Mais le plus intéressant dans Big Eyes, c'est la performance de Christoph Waltz, qui a été à la fois décriée, moquée, et applaudie. Et c'est en effet le seul acteur à avoir un rôle qui ne joue jamais ou presque, la bonne note. Il y a en permanence un soupçon de fausseté... mais n'est-ce pas voulu ? N'est-ce pas évident ? Car le mari de Margaret Keane n'est jamais, jamais JAMAIS vrai et ce en aucune circonstances dans ce film. C'est un bouffon, un homme de théâtre qui se croit sans cesse à la télévision (son passage au tribunal est à peine regardable tellement il est ridicule), qui manipule son image sans cesse (la séance photo du couple en train de peindre, mamma mia) et qui même dans son mariage s'appuie sur un mensonge... au début du film, lorsque des clients s'intéressent aux toiles de sa femme et non aux "siennes", on lit de la douleur dans ses yeux. Mais après cela, tout n'est que mensonge, c'est l'opposé exact de sa femme, l'artiste qui n'en a que le nom et en ternit le sens. Le meilleur passage du film qui révèle cela, c'est sa crise de colère face au critique qui a démonté "son" "chef d'oeuvre" (oui, beaucoup de guillemets, mais il a commandé à sa femme son chef d'oeuvre, ce qui est tellement absurde que c'en est presque drôle), puisqu'il y a la fois un soupçon de rage authentique et une réaction qui lui semble être celle qu'aurait un artiste meurtri par une attaque envers ce qu'il a créé de plus personnel. Donc, moi je dis tout simplement chapeau... l'artiste.




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