vendredi 27 mars 2015

Hacker (Blackhat) : les années 90 en 2015, ou le grand écart de Michael Mann

Cela faisait neuf ans que Michael Mann n'avait pas sorti un film au cinéma ! neuf ans, c'est long. The Last of the Mohicans, Heat, Collateral, Miami Vice... tout ça c'est loin, et chez les jeunes cinéphiles, on ne peut pas dire que Mann soit très connu. La preuve, je viens de dire qu'il n'avait pas sorti un film depuis 2006, alors qu'en réalité il a réalisé Public Enemies en 2009, et personne ne s'en est rendu compte. Bon j'avoue, je l'ai surtout sauté parce que premièrement c'est un très mauvais film, et deuxièmement il n'avait absolument rien de ce qui fait de Mann un réalisateur tant apprécié, aux côtés des John Woo, De Palma et autres John McTiernan... une belle bande d'artistes inventifs qui ont su donner ses lettres de noblesse au film d'action, ajouter une touche de poésie et de style aux explosions sanguinaires.

Michael Mann, c'est un réalisateur qui pour dire les choses clairement, n'en a rien à foutre. Son style mélange une poétisation de l'action de par l'attente tendue et la musique entraînante (et une exploitation des compositeurs à la Terrence Malick totalement anti-professionnelle, mais c'est un tout autre sujet) avec une technique caméra typée documentaire. Depuis qu'il le peut, Mann filme avec des caméras numériques très maniables et portatives, de façon à faire les choses vite et bien... enfin, "bien", ne nous emballons pas. Car si dans Collision cela passe tout à fait du fait du cadre de l'action, ici on est dans du rocambolesque à la James Bond, ce qui veut dire globalement, en gros, en résumé, voilà, Blackhat (Hacker) est filmé avec les pieds. Et je suis quasi certain que c'est littéral, parce que vu comment la caméra remue sans aucune raison pendant la quasi totalité du film, soit le cadreur tenait effectivement l'engin par les pieds, soit c'était Michael J. Fox. #mauvaisgoût
 

Donc, un côté documentaire, qui va avec une obsession du contre-rythme, filmer un peu le vrai de l'histoire... un exemple ? Mais oui mon Jordi ! A un moment, les deux-héros du film inspectent une station et l'un dit à l'autre "ha ! Mais oui, j'ai tout compris, en fait..." et l'autre lui dit "heu mais y a trop de bruit là-dedans on entend rien", alors les deux ressortent et finissent la conversation à l'extérieur. Voilà, c'est assez surprenant mais Mann s'attache beaucoup à un rythme inhabituel du déroulement de l'action, et pourtant à côté de ça dans ses thématiques et ses schémas narratifs, il reste ultra mega giga old school, avec des héros durs comme les équations différentielles du second degré, des femmes belles et fortes comme ces gens qui savent résoudre des équations différentielles du second degré, des méchants cruels et terrifiants car détachés, des retournements de situations inattendus, un affrontement final épique... bref, entre le style de John Woo et la captation documentaire, Michael Mann est un sacré spécialiste du grand écart.


Mais de quoi ça parle ? Et ben du calme le Jambon de Parme, je vais te le dire ! Blackhat (Hacker) raconte comment le FBI engage un hacker criminel pour arrêter un méchant hacker qui a fait pété une centrale au Japon. Et évidemment, le hacker criminel héroïque, c'est un putain de bodybuilder (coucou Chris Hemsworthy of Mjölnir), il se tape la belle fille et a tout pour plaire. Parce que comme je l'ai dit plus tôt, Michael Mann n'en a rien à péter. Alors il fait des films d'action aux codes totalement explosés comme dans les 90s, et c'est tant mieux pour lui et pour nous, parce que sans déconner le réalisme noir à toutes les sauces, au bout d'un moment c'est chiant hein. C'comme Chris Columbus là, qui se croit encore dans les 80s et qui nous sort un film sur une team de geek qui doivent arrêter une invasion extra-terrestre de Pac-Man et Donkey-Kong dans Pixels... c'est le retour du fun au cinéma ! Et c'est surtout dans son traitement de son sujet (la technologie, l'informatique, les hackers) que Blackhat transpire la fin du 20ème siècle : les écrans noirs à texte vert façon Matrix, les séquences animées des circuits qui transmettent l'information, les vieux bruitages et animations ridicules sur l'écran à chaque clic... on nage en plein délire, et c'est l'éclate.

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Et donc on a tout : les trahisons, les retournements de situation, les fusillades extrêmement violentes... et c'est là que le faux rythme de Mann devient fascinant, car les codes classiques sont brouillés par la lenteur de l'avancée de l'histoire, ce qui ramène l'élément de surprise qui a quelque peu disparu du cinéma blockbuster actuel (ah, le sacrifice du héros qui ne meurt pas vraiment. Je te hais tellement). Et fascinant encore car il fait d'autant plus ressortir les moments de confrontation épiques, notamment la rencontre entre le gentil hacker et le méchant hacker dans une parade en Malaisie. Cependant... la technique "documentaire" est tellement foutraque dans le film qu'elle va indéniablement sortir les spectateurs du film. Et vas-y que ça bouge dans tout le sens, que le montage audio ressemble à un morceau d'Igorrr avec des volumes qui baissent sans raison puis remonte sur le plan d'après, et que les 29 images par seconde te donnent mal à la tête quand toi petit cinéaste tu es habitué à ton confort des 24 images par seconde, bien plus naturel... le film a vraiment de quoi déplaire, à cause de sa technique, et aussi de ce faux rythme qui en fait du coup une oeuvre extrêmement lente, ce qui passait comme une lettre à la poste à l'époque de Collateral et qui maintenant fait tiquer dans le spectre cinématographique actuel.


Le souci de Michael Mann est le même que beaucoup d'autres réalisateurs extrêmement appréciés en France, comme les Wachowski, comme Coppola ou surtout Terry Gilliam : ce sont des artistes avec des tas d'idées en tête, des images merveilleuses à transmettre, mais qui sont tous incapables de se conformer à certains aspects de l'industrie du cinéma populaire, et ce chacun à sa manière. On l'oublie facilement mais c'est un métier qui comporte des parties techniques et des parties économiques qui sont tristement indispensables dans un cinéma aussi codifié, c'est-à-dire attendu. Quand les Wachowski et Terry Gilliam font perdre de l'argent aux studios à cause de leurs coûts de production et délais non respectés, quand Mann comme Malick avant lui manipule les images et tente de sauver le film au montage, il entre dans une dimension de l'incertitude qui fait enrager les producteurs, et peut à la fois donner un résultat catastrophique, ou - la plus belle chose qui existe au cinéma à mes yeux -, un heureux accident. C'est chez ces réalisateurs que l'on découvre, ici et là, des instants de grâce. Et le succès d'artistes aussi atypiques chez le public français s'explique peut-être par notre héritage inconscient - ou conscient - de la Nouvelle Vague, qui s'est inspiré des polars et western pour renverser les codes du genre et envoyer la technique professionnelle trop cadrée se faire mettre.


Blackhat (Hacker) oscille entre le naufrage et ces moments de grâce si précieux; encore faut-il réussir à rester dans le film pour les percevoir...

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