mardi 21 juillet 2015

Daddy Cool : Comme un Homme

Question double pour ce mélodrame indépendant, qui raconte l'histoire d'un père maniaco-dépressif en 1977 qui doit élever ces deux jeunes filles seul à Boston tandis que sa "femme" (oui, sa santé mentale a quelque peu endommagé leur relation) est partie étudier à New York pour obtenir un travail digne de ce nom et sauver la famille : pourquoi sortir ce film maintenant ?


Pourquoi maintenant, c'est-à-dire en plein été ? Pour faire simple et être assez méchant avec un paquet de films - vous êtes prévenus bande de Groots -, Daddy Cool (ou Infinitely Polar Bear, le sublime titre original) a tout d'un film qui pourrait cartonner aux Oscars dans les catégories meilleur acteur/actrice, mais en mieux. Vous savez, les catégories qui sont trustées par les types qui jouent des biopics là, ou des gens en situation de handicap ou de maladie, ou les deux. Daddy Cool aurait tout pour plaire, si ce n'est qu'il est plus sincère. Il n'est pas larmoyant, il n'est pas facile, il est touchant car il déborde d'une sincérité jamais dégueulasse, toujours maîtrisée et c'est tout à l'honneur de la réalisatrice Maya Forbes.


La place de ce film, dans les salles en plein été, c'est-à-dire perdu entre explosions, super-héros et comédies grotesques (au sens neutre du mot, je précise, ne me mettez pas des mots dans la bouche que je n'ai pas dit, et puis c'est très malpoli je viens de me laver les dents), est absurde car il est littéralement invisible. Sans doute les études ont-elles prouvées que personne ne serait intéressé par un film sur un maniaco-dépressif qui n'est pas le protagoniste d'un biopic, et c'est en ce cas extrêmement navrant ; pour faire simple, c'est un peu comme on avait caché un bouquin d'Olivier Adam derrière une pile de Shonen dans une librairie... il ne risque pas d'avoir un grand succès. Et la place de ce film dans sa boite de production est tout aussi absurde, puisqu'il est produit par Bad Robot, la boite de JJ Abrams... à ses côtés, trois films de Star Trek, trois Mission Impossible, un Star Wars, et des thriller et films d'horreurs... vraiment, c'est à rien n'y piper de la papauté.


Et enfin, pourquoi maintenant, c'est-à-dire en 2015 ? Pourquoi projeter dans les cinémas l'histoire d'une famille de 1977, qui subit les conséquences des sixties et la réalité dure comme de l'adamantium non newtonien d'être une famille mixte il y a quarante ans ? Le retour à la réalité après les folies hippies, les années de l'amour, l'égalité entre les ethnies, l'égalité face à l'emploi ? Cette question est plus simple : parce que cette histoire trouve un nombre d'échos démentiel avec notre époque.

La deuxième qualité principale de ce film, après sa sincérité bouleversante transmise notamment par le jeu sans faute de Mark Ruffalo et Zoe Saldana, c'est sa richesse thématique. En 90 minutes, il n'a pas peur d'en dire beaucoup de bien le faire. Je ne veux pas faire long, parce que j'aimerais m'étendre sur un seul de ces aspects, mais on trouve dans ce film une réflexion sur la noblesse déchue, sur le rapport nostalgique au délicieux passé sous la forme d'images polaroids et de berceuses, sur nos rapports conflictuels aux maladies mentales, ces maladies invisibles qui par nature nous semblent toujours être de la comédie (la vérité, c'est que personne n'est si bon acteur.), sur le système éducatif américain... OUI VOILA CA FAIT BEAUCOUP. On est d'accord.


Mais ce dont ce film parle avant tout, c'est de masculinité. Le personnage de Mark Ruffalo est forcé par sa santé à devenir homme au foyer tandis que sa femme se prépare à devenir l'homme de la famille, le tout en 1977. Et cette situation, tout le monde le lui fait sentir, n'est pas normal ; lui-même se sent très vite inadéquat et sa dépression ainsi que ses crises deviennent alors associé à une recherche désespérée de la virilité qui sommeille en lui. Dès la première scène du film, lors d'une crise, il hurle en agrippant ses couilles, presque nu dans le froid du Massachusetts. Puis, lorsqu'il devient cuisinier/chauffeur/femme de ménage pour ses filles, il devient artiste et bricoleur. Il empile dans sa chambre les vélos et le cambouis comme pour se rattacher à une image, à un cliché - comme tous ces photos qu'il empile sur les tables de la maison - pour ne pas être écrasé par le poids de l'époque.

Maya Forbes a entièrement compris le lien qui existait, et qui existe bien sûr encore entre l'affirmation féministe et la redéfinition de la masculinité, car très vite cette première a su montrer que la seconde est tout aussi hors d'époque, insensée ; si Zoe Saldana, une femme noire en 1977, peut étudier et travailler dans une grande entreprise, un homme peut endosser le rôle de celui, habituel et désuet, de la mère. Dès lors la lutte de cette famille déchirée devient impossible, et déchirante : face à eux, l'intégralité de la société de Boston, qui n'est pas prête à accepter un tel changement. Aujourd'hui, quand ce film en plein cœur de la seconde vague féministe sort, lors de ce que beaucoup appellent la troisième vague féministe, il est certain que tous les esprits ne sont pas encore à la page.


Face à la pourriture rétrograde de leur monde, le microcosme familial de Daddy Cool ne peut se contenter que de petites victoires, mais à leurs yeux, elles sont merveilleuses, et le film l'est également.

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