dimanche 8 novembre 2015

Le Fils de Saul : Entendre l'Horreur

Il semble systématique qu'un film primé à Cannes fasse couler beaucoup d'encre ; alors quand l'un d'eux décide de plonger dans l'ambiance pas vraiment cinq étoiles d'un camp de concentration en Pologne, forcément ça va faire du bruit. Le Fils de Saul a été récompensé à Cannes par le Grand Prix de cette année, mais ce n'est pas pour autant que le film a été apprécié ; il a déjà fallu faire des pieds et des mains pour pouvoir le produire, le réalisateur s'étant retrouvé totalement niqué par les sociétés de production françaises notamment. Mais même après sa sortie, on a pu entendre tout et n'importe quoi sur le film ; génial ou abject, solaire ou diffamatoire, j'en passe et des oxymores.


Je n'ai pas l'intention de dire du bien ou du mal de ce film. Le Fils de Saul joue la carte de l'immersion et nous colle aux basques d'un personnage nommé Saul, qui fait partie des prisonniers aides dans un camp de concentration. En gros, il accompagne les gens à la douche, puis récupère les corps et nettoie derrière. Ouais, c'est pas pour les âmes sensibles mais en même temps pour parler d'un sujet pareil on ne va pas y aller avec les pincettes de la mère Michel, non il faut y mettre les mains et se salir bien comme il faut. Et pour cela, le réalisateur László Nemes a choisi de ne jamais quitter Saul ; le reste est dans le flou, ce qui pourrait sembler être de la pudeur mais qui a un effet totalement inverse. Bref, Saul trouve un jour un cadavre d'enfant et le cache pour que son corps ne soit pas mutilé par les docteurs nazi, et cherche un rabbin pour lui apporter la paix céleste. Je vous avais prévenu, ça fait mal par où ça passe.


Donc, ni de bien ni de mal, voyez-le et faîtes vous votre avis sur le sujet ; certains critiques que j'adore ont détesté et ont des arguments extrêmement persuasifs, d'autres ont adoré et sont tout aussi pertinents. Non, ce qui m'intéresse ici, c'est de porter attention à l'utilisation du son qui a été faite dans Le Fils de Saul. Je l'ai dit plus haut, en général en dehors du personnage principal le reste de l'image est flou ; souvent on y aperçoit les pires horreurs, un nombre incalculable de morts, et le flou n'apporte pas une pudeur comme on aurait pu s'y attendre, par un paradoxe qui à ce jour m'échappe, il intensifie l'horreur. Peut-être par une immersion aveuglante, puisque Saul vit avec des œillères depuis la découverte du corps de l'enfant. Mais contrairement à l'image, le son est terriblement clair. Tant et si bien qu'à un moment du film, il y a eu du bruit dans le cinéma et j'ai remarqué que j'avais du mal à faire la distinction entre ce qui sortait des enceintes et ce qui était réel.


Je ne sais pas comment ils s'y sont pris, mais le son dans Le Fils de Saul suffit à l'expérience. Tout de suite, on a le sentiment d'être à la fois sur la Tour de Babel, avec toutes les langues incompréhensibles qui se chevauchent ici et là, et dans un Enfer mythologique où les cris et supplices se font entendre sans discontinuer. Le volume - aux deux sens du terme - insoupçonné de l'atmosphère sonore du film est extrêmement déroutant et également novateur à mon sens. Si vous en avez le courage et ne trouvez pas l'entreprise déplacée voire immorale (ce que disait Jean-Philippe Tessé dans les Cahiers, et je ne peux pas vraiment lui donner tort), tentez l'expérience, je vous assure que cela vaut le détour. Prévoyez juste un chocolat chaud après pour se remettre d'aplomb.

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