mardi 14 avril 2015

Lost River : A la surface de la plastique insondée

Attention, ce film n'est pas un documentaire sur les tourments de Joaquin Phoenix, après la perte de son frère River mort trop jeune.


Non non non, Lost River, c'est le premier essai derrière la caméra de Ryan Gosling, cet acteur tellement beau que ça fait mal et qui a su s'émanciper de sa bogossitude depuis 2010 en enchaînant des rôles avec quelques un des grands du cinéma d'auteur contemporain : notamment Nicholas Winding Refn, Terrence Malick et Derek Cianfrance. Et pourquoi je mentionne ces réalisateurs ? Parce qu'on les sent tellement forts dans Lost River qu'ils semblent être tombés dans le fumier avec Biff Tannen.

Lost River est en effet un concentré bien trop dense de toutes les influences visuelles, sonores, poétiques et narratives de Ryan Gosling ; il s'y passe bien trop de choses, on y voit bien trop de trouvailles dans sa petite heure trente cinq et ce sans jamais trouver un équilibre... de quoi ça parle, déjà ? Et bien du fait que Detroit c'est vraiment de la merde. Enfin, pas vraiment, mais c'est tourné là-bas. Donc, plus sérieusement : une mère et ses deux enfants (un ado/jeune et un tout petit), dans une maison en ruines, dans une ville en ruines. Envahie par la broussaille, et les marécages. Pas d'argent. Un caïd, psychopathe intenable et insensé qui règne sur le chaos. Un autre caïd, qui gouverne les perversions obscènes et malsaines des riches de la ville, dans un club où des jolies actrices se saignent à blancs (pour de faux) et se vident de leurs âmes (pour de vrai). La mère doit travailler dans le club pour donner une vie à ses enfants, son fils aîné vend du cuivre volé pour aider sa mère et se fait poursuivre par le caïd, et vit une histoire d'amour avec sa voisine un peu paumée, voisine qui vit avec sa grand-mère muette depuis la mort de son mari, et muée en Miss Havisham sans classe, juste pathétique. Rajoutez encore à cela l'histoire d'une ville engloutie par le lac artificiel, et vous comprenez bien que Lost River est dense comme... quelque chose de très dense. Genre un brouillard bien épais.

Et c'est dommage car le film est plein de bonnes choses. Les acteurs sont particulièrement bons, ce qui n'est pas rare lorsque le réalisateur en est un également (cf. les performances dans les films de Eastwood ou Woody Allen, Lubitsch, Ben Affleck...) : je pense tout particulièrement à Christina Hendricks, qui n'avait pas besoin de prouver sa capacité à jouer la mère célibataire au bord du désespoir et dégoûtée de son existence corporelle vu qu'elle le fait (faisait, bientôt... snif) dans Mad Men mais qui est tout de même époustouflante, et à Matt Smith qui transforme la folie enfantine et enchanteresse du Docteur en folie démente et démoniaque à la Orange Mécanique

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Mais à cause de cette accumulation d'idées, de trouvailles visuelles (souvent géniales, rendons à papier-peint-de-Refn ce qui est à papier-peint-de-Refn), il est impossible pour le spectateur de plonger suffisamment longtemps dans l'oeuvre pour s'en imprégner. Tout comme le fils de Christina Hendricks lors de son exploration du lac, on reste surtout en surface, sans assez explorer les abysses. C'est ce manque de cohérence visuelle, ce trop-plein qui nuit au film et donne l'impression que Gosling n'a fait que copier les maîtres sans parvenir à dépasser la plastique d'un David Lynch, d'un Malick ou d'un Refn... pour atteindre la substantifique moelle, c'est-à-dire ce que la plastique vient sublimer. Avec Lost River, Ryan Gosling se rapproche même plus des clippeurs british des années 80, la bande d'Alan Parker (The Wall, Angel Heart...) mais ne parviens pas à retrouver la cohésion de leurs oeuvres. Du coup, le patchwork tombe un peu en morceaux.

http://blog.coyoteproductions.co.uk/wp-content/uploads/2015/02/Lost-River-Still-09.png
Alors, on s'attarde sur des moments d'entre-deux, des égarements, des accidents ; des petits bouts de scènes des fragments volés s'échappent et par moments on trouve des instants de grâce qui montre tout de même que le film n'est pas entièrement vain. C'est la jeune fille qui chante, tandis que sa grand-mère regarde la vidéo de son mariage. C'est la mère qui s'échappe dans un couloir monochrome aux murs renversés, ce sont les lampadaires qui dépassent du lac qui soudain s'allument, ou encore les apparitions de l'horreur symbolisées par le second du caïd, Face, dont le visage mutilé terrifiant m'a rappelé que je n'avais aucune envie de voir un jour le Joker de Scott Snyder dans un film. 

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Je ne pourrais pas dire que Lost River est un mauvais film, car il a le mérite d'avoir essayé de dépasser l'image pour atteindre le fantasme de la métaphysique de l'image, de faire déborder ses motifs et d'envahir l'histoire jusqu'à la réduire au néant ; même si le film n'ose jamais réellement aller jusque là, ses rares tentatives sont louables et ont le mérite de nous faire passer un bon moment.

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