mardi 19 mai 2015

Cannes Power #1 - La Tête Haute et La Loi du Marché : Le grand défilé des bouffons

C'est le Festival de Cannes ! Sans trop me l'expliquer, cela a toujours été mon moment de cinéma préféré de l'année. Ce festival et ses parures m'ont toujours enchanté, et je rêve encore de pouvoir assister à une séance là-bas un jour. C'est aussi un moment très amusant dans l'actualité puisque certains films sortent n'importe comment, comme par exemple un lundi soir en lieu et place de l'habituel mercredi, et je ne sais pas pourquoi mais cela me fait jubiler.


Cette année, les présidents du jury sont les frères Coen, très habitués à la fois du festival et des moments chocs qui n'hésite pas à laisser une belle place à la comédie. Car Cannes, c'est surtout des films coup de poing, parfois étouffants, parfois expérimentaux parfois ratés... et ceux qui arrivent à injecter un peu d'humour dans le menu sont assez exceptionnels. Les frères Coen en font partie, récompensés à de nombreuses reprises pour Barton Fink, pour Fargo, pour Inside Llewyn Davies... des films où le rire est une sorte de mécanisme d'auto-défense. On rit pour ne pas fondre en larmes comme des mioches. Les deux films dont je vais brièvement parler ici possèdent tous deux cette qualité hautement appréciable. 


Le premier est La Tête Haute, film qui a ouvert le festival cette année avec bien plus de classe que la non-grâce de Monaco l'an passé. Certains comparent le film au dernier succès de Xavier Dolan, le labellisant ainsi le Mommy français. Pour être plus exact, il faudrait dire ceci : c'est comme Mommy sauf que tu as envie de tuer la mère dans toutes les scènes et que le personnage principal trahit ta confiance toutes les deux minutes trente. On suit l'enfance d'un garçon à problèmes de Dunkerque, qui dès son plus jeune âge était aux yeux de tous, un délinquant. Faut dire qu'il fauche des voitures, agresse des gens, donc hé, il l'a un peu mérité. Le film décrit son parcours et les différentes tentatives de tous ceux qui l'entourent, juges, avocats, éducateurs, pour le remettre sur le droit chemin. Enfin, pour le remettre sur un chemin qui lui éviterai d'aller en prison ; le droit chemin dans La Tête Haute c'est une chimère totale. Presque chaque scène du film est un coup de poing criant de vérité, une vérité triste et sociale. C'est étouffant. Etouffant ! On ne sort presque jamais, en dehors de quelques scènes, et même celle-ci sont irrespirables en dehors de la dernière séquence. Les comédiens sont excellents et ont de quoi faire parler d'eux pour les nouveaux venus, et de refaire parler d'eux pour les bien connus comme Catherine Deneuve. De la première seconde à la dernière, La Tête Haute nous fait ressentir, et c'est tout ce que l'on attend d'un film d'ouverture en compétition. Qu'il annonce la couleur, avec puissance.


Le deuxième film est La Loi du Marché, qui vaudra potentiellement à Vincent Lindon un prix d'interprétation. Pourquoi ? Parce que ce mec est absolument délirant ! C'est incroyable de respirer un rôle à ce point. Il est toujours juste, toujours effarant, c'est incroyable. Dans La Loi du Marché, encore un film franchement folichon ma foi, il joue un ouvrier qui galère à retrouver du travail depuis 15 mois, après que son usine a mis la clé sous la porte. Pendant 95 minutes, on le suit dans une série de séquences d'environ 5 minutes chacune, toutes frappantes à la fois dans la continuité de l'oeuvre mais également en tant que moments de cinéma indépendants. Il passe des entretiens d'embauches sur Skype, demande de l'argent à sa banque, arrête des voleurs à l'étalage dans un magasin où il travaille... je ne vais pas mentir, le film est monumental. Pas une scène n'est ratée, pas une fausse note, l'intégralité du temps passé en la compagnie de ce personnage est époustouflante. Traumatisante, déprimante, certes, mais époustouflante tout de même. La loi du marché, c'est la loi du plus fort, c'est la loi du dominant qui écrase les autres. Face à son banquier, Vincent Lindon s'écrase et tente d'expliquer ses problèmes d'argent, puis dans son magasin où il effectue une formation comme agent de sécurité, il se retrouve obligé d'arrêter un vieil homme qui a volé un morceau de viande et n'a pas les moyens de payer. Il y a des victimes, et des proies, et le système est infect.

Mais où est la comédie dans tout ça ? Parce que là, mon article n'a pas de sens pour l'instant. Je vous avais promis de la comédie ! Et c'est vrai que durant ces deux films, on rit beaucoup. Je vous dis ça de mon témoignage personnel, dans les salles où j'ai vu ces films, on a beaucoup ri, mais comme je l'ai dit plus haut, avec une sorte de mécanisme d'auto-défense. Parce que La Tête Haute et La Loi du Marché sont ni plus ni moins que deux grands défilés des plus gros bouffons de l'espèce humaine, ceux qui appliquent les codes et la novlangue sans chercher à connaître le réel. C'est-à-dire que les deux films projettent le spectateur, nous, dans une réalité d'une tristesse de putain de merde quoi. Alors, quand débarquent les guignols, leurs mots et leurs apparences créent un décalage monstrueux, c'est-à-dire qui montre l'absurdité de la vie. La vie n'a aucun sens les gars ! Et on rigole.


Quelques exemples : dans La Tête Haute, les avocats (le procureur et l'avocat de la défense) font du mauvais théâtre pour condamner/sauver notre héros. Là où tous les autres personnages se traînent dans la boue, eux débarquent avec leurs belles toges et font des métaphores filées sur le "permis de conduire la vie" et d'autres conneries de la sorte. Dans La Loi du Marché, je pourrais prendre n'importe quelle scène tellement le film est un panthéon de la bouffonnerie. Je n'en citerai que deux : la première montre le héros à un cours sur les entretiens d'embauches. Alors que la caméra reste très majoritairement fixé sur son visage, tous les autres élèves du cours s'acharnent à démonter un entretien filmé qu'il a réalisé pour montrer pourquoi il est mauvais. La chemise ouverte, ça fait trop à la cool, l'absence de sourire c'est pas agréable, franchement on n'a pas envie de lui parler... délirant. L'autre scène, une des meilleures du film montre un cadre des relations humaine débarquer sur son lieu de travail pour parler du fait qu'une employé s'est suicidée sur son lieu de travail. Un peu avant, elle a été arrêtée pour avoir volé des coupons destinés aux clients, et elle était sur le point d'être renvoyé. Le cadre se lance alors dans un discours pour bien faire comprendre aux employés que ce n'est pas la faute de son travail si elle s'est donné la mort, parce qu'elle a un fils qui se drogue et tout ça, et qu'ils ne doivent pas le prendre personnellement... là, c'est le fou rire dans la salle, je vous assure.

Voilà, Cannes 2015 est là, et le cinéma resplendit. Il dit le vrai, il fait mal, il fait rire, il est. Vive le cinéma.

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